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Titre: (auto) censure
Auteur: Bruno
Date: Fri 20 Apr 2012 18:14:38 +0200
Lien: https://blog.spyou.org/wordpress-mu/2012/04/20/auto-censure/
[image 2: bookburning][2]
Crédit photo : Jason Verwey
La censure est un grand, certains diront gros, mot. On peut y ranger un nombre
incroyable de choses, de quelqu’un qui se dit « non, quand même, je ne vais pas
dire à mamie que ses 45 minutes de conversation téléphonique hebdomadaires me
saoulent » au meurtre pur et simple.
*
Lorsqu’on parle d’internet et de censure en France en 2012, la première chose
qui vient à l’esprit, ce sont les tentatives de blocage de sites webs. En
premier lieu, et curieusement, les sites de jeu en ligne dont la disparition ne
porte finalement que peu préjudice à la libre expression, puis, plus gênant, un
site de copwatching qui, que l’on approuve ou pas le principe, n’est qu’un
parmi plusieurs centaines, amenant donc la question « pourquoi celui-ci et pas
un autre ? ».
On aurait pu se dire qu’un pouvoir en place qui parle de « la société qui
protège » se serait attaqué d’abord à un sujet plus évident comme celui de la
pédopornographie, et que, dans le cadre d’une action globale de lutte contre
ces horreurs commises contre les enfants, la censure des contenus aurait été
envisagée, mais loin d’une action globale, les contenus pédopornographiques
n’ont fait que l’objet d’un entrefilet dans une loi sur la sécurité intérieure
qui peine à s’appliquer tant il est impossible (et inutile, voire
contreproductif) d’assurer une censure du contenu sur le réseau, surtout
lorsqu’on ne veut pas étaler la liste de ce qu’on veut voir disparaitre.
Car de la même façon qu’il est impossible de casser durablement internet
partout (il faut choisir l’un ou l’autre), il est impossible de censurer
efficacement et discrètement à grande échelle sur le réseau.
*
[image 4: internet by state][4]
Crédit photo : Laurent Chemla
Hors de nos frontières, les dernières censures les plus marquantes ont eu lieu
au printemps 2011, dans chaque pays qui s’est soulevé, internet a plus ou moins
été coupé dans une vaine tentative d’empêcher la poursuite des mouvements qui
étaient nés sur les réseaux, ou en tout cas qui y avaient trouvé une caisse de
résonance. L’invariable résultat a été la poursuite des mouvements, à tel point
que beaucoup de gens attendaient avec impatience les coupures du réseau dans
certains pays comme signe de la « victoire ».
Ce syndrome de la victoire lorsqu’on attaque le réseau est symptomatique de
toute censure violente touchant internet. Dans un registre beaucoup plus léger
que le printemps arabe, on trouve le célèbre cas de Barbara Streisand, ayant
donné son nom à ces tentatives de censure dont l’effet est le strict inverse de
celui recherché : un contenu dérangeant une personne mais souvent futile, voire
totalement inintéressant devient soudain célébrissime après que quelqu’un ait
tenté de le faire disparaître par la force. En l’occurrence, une photo de la
maison de la pré-citée.
[image 6: flamby][6]
Crédit photo : Edouard Hue
Une variante au doux nom d' »effet flamby » a été identifiée avec le début des
révélations de wikileaks. Lorsqu’on tape sur un flamby, on en met généralement
partout. Essayez, c’est assez amusant. Dans le monde des réseaux, l’information
concernée est déjà connue de tous et tient déjà plus ou moins du scandale. Le
fait de vouloir la censurer la fait s’éparpiller un peu partout pour contourner
le risque de blocage d’une unique source centrale.
*
Il est par contre possible de faire énormément de choses pour amoindrir
l’impact d’un contenu, d’un principe ou d’une idéologie par des méthodes
beaucoup plus douces et efficaces pouvant s’apparenter à la censure. Il suffit
de s’adapter à l’univers numérique où tout n’est affaire que de copies et
d’influence. Si quelqu’un dit du mal de vous, vous pouvez, au choix, essayer de
le faire taire (et, 9 fois sur 10, obtenir un effet streisand ou flamby) ou
bien trouver 10 personnes qui diront grand bien à votre propos, quitte à ce que
vous soyez vous-même ces 10 personnes. Le résultat de la seconde méthode peut
même permettre de discréditer durablement celui que vous considérez comme
fauteur de trouble.
C’est l’une des techniques de base de la gestion de réputation sur internet :
inonder le réseau d’avis positifs pour diluer les négatifs.
*
Mais il existe plus insidieux. On touche ici à la censure que je qualifierai de
systémique. Elle n’est pas issue de la volonté propre d’une personne ou d’un
groupe défini mais d’habitudes profondément ancrées.
Par exemple, les licences libres nées avec le logiciel et l’informatique ne
sont pas encore entrées dans les habitudes de tous. L’effet de bord de de cette
méconnaissance est parfois assez amusant : « on n’utilise pas d’image diffusée
en creative commons parce qu’on n’a aucun moyen de vérifier si l’expéditeur est
réellement le détenteur des droits. On préfère utiliser une banque d’image à
400€ la photo, au moins on est sûrs de la provenance »… Alors qu’il est de
notoriété publique que le simple fait de payer n’assure absolument rien du tout
concernant le bon traitement des droits, c’est même l’axe principal de
communication d’hadopi concernant la musique et le cinéma pour tordre le cou à
cette idée préconçue : « ce n’est pas parce que c’est payant que c’est légal ».
Tout au plus, le fait de payer permet de se décharger sur quelqu’un et
d’affirmer « C’est lui ! C’est sa faute ! ».
Le pire étant d’ailleurs que les personnes qui appliquent ce principe de
précaution n’ont parfois aucune conscience des forces à l’oeuvre et des freins
à l’innovation que cela impose. Une sorte de censure d’un nouveau mode de
fonctionnement qui, comme tout ce qui est nouveau, dérange ou, à minima, fait
peur.
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[image 8: self censorship][8]
Crédit photo : liako
Enfin, la censure la plus pernicieuse, mais aussi celle sur laquelle on a le
plus de pouvoir théorique, est celle qu’on s’impose à soi-même.
Ne pas donner son avis lors d’un repas entre amis ou en famille ne porte
généralement qu’à peu de conséquence, et est parfois nécessaire pour pouvoir
finir de manger sans se jeter les assiettes au visage.
Mais les causes et conséquences sont tout autres lorsqu’on tait quelque chose
par intérêt, par peur ou par conviction. C’est toute la subtilité de nos
sociétés dites démocratiques dans lesquelles le contrôle de l’expression n’est
plus dans les mains du pouvoir mais dilué dans l’esprit de chacun. Une sorte de
censure peer2peer.
Pour autant, ce n’est pas la population dans son ensemble qui a décidé de se
l’imposer. Beaucoup de jalons sont posés depuis de longues années pour que tous
continuent à s’autocensurer. De la hiérarchie dans l’entreprise au bon vieux
fusil mitrailleur en passant par le devoir de réserve des fonctionnaires, tout
est fait pour que, l’air de rien, les écarts de libre expression ne soient pas
trop grands ou puissent être jugulés rapidement, prétendûment pour le bien
général.
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Le présent article aurait du être publié dans le cadre d’un recueil de textes à
propos de la censure mais les responsables de cette publication ont finalement
jugé que le sujet n’était pas opportun compte tenu de l’actualité politique,
m’obligeant à me rabattre sur mon petit blog provincial… Tant pis… Il a tout de
même fait l’objet d’une manifeste auto-censure. Saurez-vous deviner où ?
« Dès lors les techniques se perfectionnent
La carte à puce remplace le Remington »
MC Solaar – Nouveau western
Liens:
[1]: http://www.flickr.com/photos/94382772@N00/5079690118/ (lien)
[2]: http://blog.spyou.org/wordpress-mu/files/2012/04/20120419-bookburning-300x185.jpg (image)
[3]: http://twitpic.com/9bj5mc (lien)
[4]: http://blog.spyou.org/wordpress-mu/files/2012/04/20120419-internet-by-state-300x225.jpg (image)
[5]: http://www.flickr.com/photos/ehue/258852471/ (lien)
[6]: http://blog.spyou.org/wordpress-mu/files/2012/04/20120419-flamby-300x300.jpg (image)
[7]: http://www.flickr.com/photos/liako/3375649421/ (lien)
[8]: http://blog.spyou.org/wordpress-mu/files/2012/04/20120419-self-censorship-275x300.jpg (image)
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