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Titre: Mémo à l’usage de ceux qui veulent avancer
Auteur: Bruno
Date: Wed 07 Dec 2016 22:47:46 +0100
Lien: https://blog.spyou.org/wordpress-mu/2016/12/07/memo-a-lusage-de-ceux-qui-veulent-avancer/

[Le présent article a été en grande partie écrit en avril 2016 et légèrement 
retouché et actualisé en décembre]

Après quatre ans à fréquenter des élus et fonctionnaires de ma nouvelle 
campagne d’adoption, et plus généralement toute personne avec qui je me suis 
entretenu à propos de numérique ou, plus généralement, de politique, la phrase 
que j’ai dû entendre le plus, c’est « mais de toute façon, qu’est-ce qu’on peut
bien y faire ? »

A propos d’un peu tout. De l’absence de connectivité fonctionnelle de façon 
satisfaisante dans nos campagnes, d’usage de trucs dans le cloud quitte à 
perdre toute notion de ce qu’est la vie privée voire intime, de dépenses de 
fonds publics totalement idiotes, etc.

Vous me voyez venir, je vais prendre mon cheval favori : le numérique, et je 
vais en parler pour ce qui concerne une zone que je commence à connaître un peu
: l’Yonne.

« Mais qu’est-ce qu’on peut bien y faire ? »

Dans l’Yonne, il y a en gros deux grosses agglomérations, Sens et Auxerre, 
représentant quelque 120000 habitants sur 720 kilomètres carrés quand le 
département dans sa totalité en compte 342000 sur 7420 kilomètres carrés. On a 
donc, à la grosse, 35% de la population qui habite sur 10% du territoire.

Ces deux agglomérations ont bénéficié d’une « convention AMII ». Ça a l’air 
plutôt sympathique, « ami ». Même quand on commence à lire ce qu’en dit la 
presse, ça a l’air cool : « la fibre optique chez l’habitant tout payé par un 
opérateur sans une once d’argent public ». On fonce donc inévitablement dans le
panneau, quand on est un élu, surtout quand on n’a pas lu les petites lignes et
l’explication de texte.

Une petite ligne parmi d’autres

Cette convention AMII concerne les particuliers. Exit les entreprises, exit les
hôpitaux, exit les choses qui, grosso modo, ont besoin de plus de débit que la 
moyenne. « Pas grave » va-t-on nous répondre, « ceux-là peuvent souscrire des 
offres entreprise ». Oui, 4000 euros de frais d’installation (quand on se 
débrouille TRÈS BIEN) et entre 600 et 3000 euros par mois en fonction du débit 
et des services voulus.

Oui, on croit rêver. On pose donc légitimement la question « mais pourquoi 
vais-je aller payer des milliers d’euros pour relier le local de mon entreprise
à un débit suffisant alors que dans le quartier d’à côté, chez moi, j’ai la 
fibre pour 35 euros par mois avec deux ados qui doivent consommer 20 fois plus 
de données que ma secrétaire ? ». Et là, on s’accroche bien à son fauteuil : « 
parce que, Monsieur, C’EST PAS LA MÊME FIBRE ». Et vous savez le pire ? Ça 
passe. Ces empaffés ont réussi à faire croire que ce n’était pas la même fibre.

Eh ben si, en fait, c’est la même. Toute pareil que celle qui va aux domiciles 
du quartier résidentiel. A quelques détails près : la « fibre entreprise » 
n’est mutualisée qu’au niveau du NRO au lieu de l’être au PM (la belle affaire…
Vous ne savez pas ce que sont un NRO ou un PM ? En gros, de grosses armoires 
dans lesquelles on branche plusieurs fils ensemble sur un autre fil. Des 
multiprises réseau, quoi), et elle bénéficie généralement d’une garantie de 
temps de rétablissement en cas de panne.

« Aaahhh ouiiii, donc c’est quand même vachement mieux que le FTTH chez moi, 
cette fibre entreprise ». Oui, si vous avez besoin d’une garantie de 
rétablissement en 4h et d’un tuyau dédié jusqu’au central téléphonique. Mais au
fait, vous avez quoi aujourd’hui pour accéder à internet ? Ah, une livebox. Et 
la dernière fois qu’elle est tombée en panne, ça a pris quoi ? 2 semaines pour 
retrouver une connexion ? Ah, chiant .. Mais ça vous a empêché de bosser ? Non,
ben non, vous vous êtes débrouillés avec le voisin ou des clés 3G. Et vous avez
quoi comme débit ? 10 méga ? Et ça va ? Oui, ça met juste un peu de temps pour 
envoyer un mail avec des pièces jointes mais on s’y fait. Ben oui.

Donc en réalité, vous avez juste besoin d’une connexion plus performante, pas 
énormément plus performante, juste un peu, allez, soyons fous, 20Mbps 
symétriques… mais sinon, vous êtes content. Et vous n’allez sûrement pas 
investir l’équivalent d’un SMIC mensuel pour vous payer une fibre, non, vous 
êtes un brin plus intelligent, vous allez embaucher quelqu’un si vous avez des 
sous devant vous.

Explication de texte

Quand un opérateur comme Orange ou SFR signe une convention AMII, il fait donc 
croire à sa victime qu’il est son sauveur et qu’il va sur ses fonds propres 
(grand prince, en plus) déployer un réseau tout beau tout neuf que les 
électeurs ils vont être super contents. Promis, dans 5 ans, on a fini, et on 
s’arrangera pour avoir fait le plus gros dans les endroits à problèmes, comme 
ça, aux prochaines élections, vous aurez un bon argument pour être réélu.

Et puis une fois signé, il se passe quoi ? Ben il se passe que des 
agglomérations comme Sens et Auxerre sont déjà, à quelques exceptions notables 
près, plutôt pas trop mal servies et que l’investissement sur fonds propres 
promis par l’opérateur qui aménage le réseau FTTH ne concerne que l’horizontal 
(les fibres sous le trottoir) mais ni le vertical (dans les immeubles) ni le 
branchement des pavillons… qui sont à la charge de l’opérateur qui va vouloir 
relier son client, donc, in finé, du client. Prix de ce petit luxe qui consiste
généralement à tirer quelques dizaines de mètres de fibre ? Entre 200 et 800 €.

Évidemment, les opérateurs sont malins, ils n’annoncent pas des frais de mise 
en service de ce genre là, non. Ils noient ce montant dans l’engagement.

« Bonjour, vous avez déjà de l’ADSL qui pédale pas trop mal, mais c’est 
hasbeen. Prenez la fibre, c’est QUE 45 € par mois avec un engagement 3 ans, 
vous pourrez regarder 12 chaînes HD en même temps ! ». Alors, je m’engage 3 ans
avec un opérateur, je paie plus cher, mais en fait j’en ai pas besoin parce que
j’ai que deux yeux et que j’ai beau essayer, je peux pas regarder deux trucs 
différents en même temps.

Et du coup, que dit l’opérateur à la collectivité avec qui il a signé la 
convention AMII ? « Euhh bon en fait on vend beaucoup moins que prévu, et comme
on comptait un peu dessus pour financer le reste du déploiement, ben il va 
durer plus longtemps que prévu, mais vous pouvez rien y faire, c’est marqué 
dans le contrat, article 156 alinéa 16876″.

Tadaaaa.

Cerise sur le gâteau

L’opérateur qui a réussi à arracher une convention AMII aux grands pôles 
urbains l’a mis bien profond au département et à la région concernés. Eh oui, 
on dit qu’il a vitrifié la zone. Interdiction pour toute collectivité de venir 
investir un centime sur la chasse gardée de l’opérateur en matière 
d’aménagement numérique pendant la durée de la convention.

Du coup, il se passe quoi ? Il se passe que les zones les plus peuplées (qui 
sont moins chères à déployer, compte tenu de la densité de logements) sont 
exclues de la péréquation que pourrait effectuer un département pour créer un 
réseau d’initiative publique. Reste les zones moins densément peuplées qui 
coûtent plus cher à couvrir en fibre.

En résumé, la boite privée riche qui fait des bénéfices s’occupe de couvrir là 
où ça coûte pas cher mais ou personne n’en a besoin, et le secteur public déjà 
exsangue doit se démerder avec les zones qui coûtent cher mais ne le fait pas 
et les laisse moisir faute de moyen.

Bien joué, l’AMII.

Bon, du coup, on fait quoi, nous, collectivité petite ou grosse ?

On se demande comment faire pour régler le léger problème des campagnes 
avoisinant ces centres urbains qu’un gros opérateur a phagocyté, vu qu’on peut 
pas faire péter les conventions qui ont été signées.

On va se renseigner là où les gens ont l’air de savoir ce qu’ils font, chez les
grands opérateurs. Une commune du coin a tenté de se démerder, téléphonant à 
quelques opérateurs nationaux, disant « coucou, on voudrait créer un réseau 
fibre sur notre commune, on paie, vous voulez bien venir y vendre vos offres. 
Ils se sont fait rire au nez sur le thème : « Mais vous êtes ridicules. C’est 
trop petit. On prendra même pas le train pour venir voir. Ça nous intéresse pas
».

Il s’agissait, pour que les choses soient claires, que la ville finance et 
construise un réseau pour que ces messieurs les opérateurs n’aient rien à 
investir et puissent débarquer avec leurs offres pour les vendre aux gens. 
Plutôt sympa, moi, je dirais.

Bon, du coup, on pose la question : « à partir de combien ça vous semble 
intéressant ? ». Là, on vérifie qu’on est bien assis, la ville a demandé : trop
petit. La communauté de commune a demandé : trop petit. Le département a 
demandé : trop petit. Oui oui, ces gens là ne veulent discuter qu’avec un truc 
à l’échelle régionale.

Et comme ils ont embauché des lobbyistes doués, ils ont même réussi à faire 
gober à l’état qu’il était nécessaire de freiner toute velléité locale de 
construction de réseaux optiques en ne réservant les subventions état et Europe
qu’aux projets d’envergure régionale. Il faut le savoir, aujourd’hui, une 
collectivité territoriale ne fait RIEN si il n’y a pas au moins un bout de 
subvention qui vient de plus haut. Alors qu’elles pourraient souvent faire 
quand même quelques trucs, mais c’est un autre débat.

Bon ben, du coup, on va rien faire hein. Enfin, rien de concret. On va voter un
budget. Allez, 55 millions d’euros. Hop. L’Europe va en payer 12, l’état 18, le
département 14 et on va aller siphonner les 11 millions restants dans les 
caisses de nos communautés de communes, elles referont leurs trottoirs ou leurs
terrains de foot plus tard.

Bon. Et avec ces 55 millions on fait quoi ?

On a tout bien écouté Orange, ils nous on dit que la fibre c’était au moins 
2000 € par foyer compte tenu de notre densité de population mais que eux avait 
une solution magique géniale qui coûte deux fois moins cher, et qui consiste à 
rapprocher la fibre de chez l’habitant. Pas l’y amener, hein, la rapprocher. 
Nom de code « Montée en débit », MeD ou PRM chez les initiés.

Bon, je la fais courte pour ceux qui ne connaissent pas le principe de la 
montée en débit : ça monte pas bien haut.

Si l’ADSL ne marche pas ou pas bien à certains endroit, c’est parce que les 
lignes de téléphones sont trop longues. Du coup, le principe de la PRM, c’est 
de remplacer un bout de ces lignes de téléphones par une fibre optique (qui 
souffre beaucoup moins de la baisse de qualité avec la distance) et, au bout, 
de planter un mini central téléphonique sur lequel on viendra raccrocher les 
lignes. Les lignes sont plus courtes, l’ADSL marche mieux. CQFD.

En plus, ça « prépare l’arrivée de la fibre ». Pensez donc, ils enterrent 6 
paires de fibres pour relier un mini central téléphonique perdu dans la pampa 
sur lequel il y a quelques dizaines de lignes. Et ils veulent nous faire croire
que 6 paires sont suffisantes pour proposer, plus tard, une offre FTTH digne de
ce nom ? Raté, il faudra changer le câble en question, ne serait-ce que parce 
que l’ARCEP impose qu’il y ait une fibre par habitant qui arrive au point de 
mutualisation le plus proche, que celui-ci doit couvrir au moins 300 logements 
et que bon nombre d’opérations PRM actuellement en route portent sur des PM de 
moins de 90 lignes. Donc en fait, ça ne prépare rien du tout.

De toute façon, le gros du coût de déploiement de la fibre ne concerne pas 
cette longue distance effectuée entre le central d’origine et le nouveau petit,
bien souvent faite en bordure de route facile à creuser, mais bien la mise en 
service jusqu’à l’abonné où il faut se torturer l’esprit pour ne pas trop 
ravager le devant de la maison pour y faire rentrer le nouveau câble.

Mais s’il n’y avait que ça, on s’en contenterait. Là où il y a un hic, c’est 
que cette fameuse offre PRM est :

  * Affreusement chère : en ce qui concerne l’Yonne, elle va concerner, ces 
    prochaines années, un peu moins de 19000 foyers pour un coût total d’un peu
    moins de 22 millions d’euros. Quelque chose comme 1150 € par foyer 
    bénéficiant de l’augmentation de débit.
  * Une subvention à Orange : il n’y a qu’eux qui peuvent la mettre en œuvre 
    puisqu’il s’agit de leur réseau. L’excuse typique étant « c’est faux, il y 
    a plusieurs entreprises qui proposent l’offre PRM cuivre, il y a donc libre
    concurrence ! » oui, et qui, une fois la phase d’étude réalisée, 
    sous-traitent la réalisation du boulot à… Orange.
  * Contre performante au possible : pour cette somme modique offerte à 
    l’opérateur historique, l’ADSL pourri ou inexistant d’aujourd’hui deviendra
    un ADSL qui marche à peu près dans 2 à 6 ans, on « investit » donc de 
    l’argent pour garder à la traîne ceux qui y sont déjà.

Pendant ce temps, vous continuez à payer directement ou indirectement 
l’entretien du réseau téléphonique (qui n’est plus assuré qu’en cas d’extrême 
urgence) sur vos factures mensuelles, et vous allez donc, en plus, payer, via 
vos impôts, le fait de pouvoir continuer encore longtemps à financer cet 
entretien inexistant. Heureusement que plus de la moitié sont payés par 
l’Europe et l’état, hein, on se sent moins seuls.

Bon, ça, c’est fait, un petit cadeau de 22 millions d’argent public à une boite
qui caracole en tête des plus gros bénéfices à la bourse de Paris. Admettons. 
La consolation c’est que c’est encore l’état qui capte 13% de ces dividendes. 
On n’a pas tout perdu.

Bon, et les 33 millions qui restent, on en fait quoi ?

On va quand même faire un peu de fibre, hein. Bon, on le fait où ? Bon, ce bled
là, celui là et celui là y sont de gauche, je les aime pas, donc pas chez eux. 
Là bas, c’est trop paumé et Orange a dit que ça coûterait trop cher, donc on 
n’ira pas. Bon, ben on va déployer dans les villes les plus peuplées en dehors 
des deux zones AMII et uniquement si elles sont du même bord politique que 
nous. Allez, c’est ficelé, on y va.

Au fait, on fait comment la fibre ? Tu sais, toi, René ? Non. Francis non plus 
? Bon… on va attendre que la région se bouge le fion pour nous pondre un truc, 
tout seuls on n’y arrivera pas.

Attend, on va quand même sortir un appel à projet pour les zones industrielles 
histoire de faire croire qu’on se préoccupe de nos entreprises. Non, 
t’inquiète, s’il y en a qui répondent on fera comme d’habitude : les morts. 
Avec un peu de bol Orange ouvrira des offres fibre entreprise sur ces zones et 
on pourra valablement retirer l’appel à projet avant que ça râle trop fort en 
disant « ah ben non, à Bruxelles ils ont dit que quand le privé couvre, nous on
n’a plus le droit ».

3 ans plus tard, la région, toute contente de se marier avec la Franche-Comté, 
parvient à monter une Société Publique Locale pour piloter les déploiements 
FTTH. Bon, en vrai, elle va aussi édicter les règles d’ingénierie et choisir un
délégataire privé qui sera chargé de se mettre dans la poche les 33 millions de
l’Yonne (et les millions des autres départements) pour construire un beau 
réseau FTTH sur lequel ces messieurs « opérateurs d’envergure nationale » 
viendront vous vendre leurs offres.

« Gérer ça en propre ? Mais vous n’y pensez pas Geneviève, Orange a dit que 
c’était compliqué, la fibre. Déjà qu’on n’est plus foutus de gérer nous-mêmes 
les réseaux d’eau potable… »

Petite consolation tout de même, les opérateurs qui vont venir vendre leur 
service payeront (en principe) une dîme mensuelle pour chaque ligne qui 
reviendra dans les caisses des départements. C’est donc un investissement, 
contrairement à la montée en débit PRM qui est une subvention à fonds perdus.

Espérons juste qu’au détour de l’appel à délégation de service public qui sera 
passé, les deux ou trois candidats « sérieux » qui se présenteront n’imposeront
pas de clauses bien tordues (du genre « pour pouvoir jouer sur le réseau il 
faut le cofinancer à hauteur de 25% ») leur permettant de s’arroger à eux seul 
le droit d’exploiter le réseau public. L’avenir nous le dira.

Bon, eh, Spyou, t’es sympa avec ton roman fleuve, mais tu nous as toujours pas 
dit ce qu’on pouvait faire, là.

C’est pas faux. Mais il fallait quand même bien que je vous brosse le tableau 
avant de le barbouiller avec ma gouache.

Deux ou trois autres détails, que vous ayez bien l’image en tête.

Déployer un réseau fibre, c’est de la plomberie. Tout pareil que de l’eau ou 
n’importe quel autre réseau déjà existant : il faut enterrer des tuyaux ou 
planter des poteaux pour ensuite y mettre des câbles dans lesquels il y a de la
fibre.

Petit point financier :

  * Un mètre de fibre, c’est entre une poignée de centime et 2 euro en fonction
    de la quantité achetée et du nombre de fibres dans la gaine.
  * Un mètre de fourreau pour mettre la fibre, c’est du même acabit.
  * Un poteau, c’est quelque chose entre 50 et 100 euros.
  * Un mètre de tranchée pour enterrer un fourreau, c’est entre 10 euros (dans 
    un champ) et 3 ou 400 euros (en ville où il faut faire attention aux autres
    réseaux, reconstruire le marbre plaqué or du trottoir, etc.)

Bilan de ce point financier : la fibre, ça coûte rien. Ce qui coûte, c’est de 
faire des trous.

Ça fait déjà un bon moment que toutes les collectivités le savent : quand on 
fait un trou quelque part, on en profite, on met des fourreaux vides en trop 
dedans, ça évitera d’avoir à creuser à nouveau, et dans le pire des cas, on 
aura perdu quelques centimes, c’est pas bien grave.

Alors qu’on m’explique pourquoi, pas plus tard que l’année dernière dans 
l’Yonne, plus de 80km de tranchées ont été réalisées (pour celles dont j’ai eu 
connaissance), dont certaines assez longues, sans qu’aucun fourreau vide n’ait 
jamais été posé.

Florilège :

  * « On savait pas comment faire donc on n’a rien fait »
  * « Ça traversait plusieurs communes et il y en avait dans le tas qui ne 
    voulaient pas payer plus cher que le strict nécessaire donc on n’a rien 
    fait »
  * « C’est une intervention faite par un gestionnaire de réseau privé, si on 
    voulait mettre des fourreaux vides, on aurait dû cofinancer les travaux 
    donc on n’a rien fait »
  * « Quand on pose un type de réseau, on fait appel à une entreprise 
    spécialisée dans ce type de réseau. Si on lui demande de poser un autre 
    type en même temps, elle fait n’importe quoi et c’est la merde 
    intersidérale donc on n’a rien fait »

Et vous demandez encore ce que vous pouvez faire ?

J’ai d’autres idées, si profiter des trous qui sont faits pour préparer 
l’avenir n’est pas à votre portée.

Vous avez l’immense chance (des communes d’autres départements tueraient pour 
l’avoir) de bénéficier de l’implantation, sur votre territoire, d’une 
initiative locale, portée bénévolement par des gens motivés, qui ont les 
compétences, le temps et l’envie de faire quelque chose. Ils ont, pour arriver 
à leurs fins, créé une structure éminemment démocratique et totalement 
transparente, tant financièrement que techniquement. Pourquoi persister à ne 
pas les considérer, sans même parler de les soutenir, hein ?

Ils sont mal fringués et leurs principes ont l’air vaguement communistes… ok… 
j’ai d’autres idées, si soutenir les initiatives locales n’est pas de votre 
goût.

Une idée plus administrative, tiens. Se grouper pour faire pression. Il existe 
des tas d’organisations regroupant de petites communes rurales. Il serait peut 
être temps d’envoyer promener le diktat privé imposé par Bruxelles et faire 
pression sur notre état pour qu’il oblige ceux qui en ont les moyens d’assurer 
l’investissement nécessaire à la sortie du tiers monde numérique de nos 
territoires. Pas en suggérant une nouvelle taxe qui retombe systématiquement 
sur le nez des clients comme l’a proposé un de nos députés locaux, mais en 
réévaluant par exemple la notion de service universel pour y inclure l’accès à 
internet avec un débit minimal valable.

Non ? Si faire bosser vos équipes sur un nouveau genre de projet qui a l’air un
peu révolutionnaire ça vous colle la frousse, j’ai encore une pochette surprise
dans ma besace.

Pourquoi ne pas suivre les buts que vous vous êtes fixés quand vous avez 
demandé à un cabinet de conseil d’écrire le schéma directeur d’aménagement 
numérique à votre place ? Ils n’y ont pas mis QUE des âneries hein. Loin de là.
Il y a même une idée toute bête et qui, pourtant, n’a toujours pas été mise en 
œuvre, bien qu’elle soit un des prérequis avant de pouvoir éventuellement 
penser à faire de la fibre : recenser le génie civil disponible. Mettre des 
outils de cartographie à disposition de toutes les structures administratives, 
et pourquoi pas de l’ensemble de la population pour aller plus vite ?

Maintenant, si même faire ce que vous aviez dit que vous feriez n’est pas 
possible… je ne vois qu’une solution, continuez à chercher des papiers et des 
chèques à signer en espérant que les choses se feront toutes seules.

En parlant de chèques… Chaque année, les opérateurs paient une Redevance 
d’Occupation du Domaine Public (RODP) aux collectivités dont ils occupent tout 
ou partie de l’espace public, en souterrain ou en aérien. Vous êtes-vous un 
jour demandé d’où sortait le montant en bas de la feuille ? Je serais vous, je 
creuserais le sujet. Sachez que si vous trouvez une bourde dans le calcul, vous
pouvez demander le complément de façon rétroactive sur 5 ans. Allez, je vous 
aide, c’est Orange qui vous donne le chiffre, et en dehors d’aller recenser le 
réseau physiquement dans votre commune, vous n’avez aucun moyen de vérifier sa 
validité. Action.

Moi, je vais continuer chaque semaine à connecter 2 à 10 personnes au réseau de
SCANI, ça va être long, on sera toujours une bande de gnioufs bizarres qui font
pas du vrai internet, mais à la fin, quand on comptera les points, nous, on 
saura ce qu’on aura fait pour le département.

Je m’énerve pas, Madeleine, j’explique.

Le truc qu’on fait chez SCANI est assez simple à comprendre. On prend de 
l’internet où il marche et on l’emmène là où il ne marche pas. On ne pirate pas
un opérateur quelconque, nous SOMMES opérateur. N’en déplaise à certains, « 
être opérateur », ça se résume à cocher quelques cases sur le formulaire du 
site de l’ARCEP et de cliquer sur « envoyer ».

Comme on a avec nous quelques personnes du métier qui sont tombés dedans quand 
ils étaient petits, on arrive à obtenir les meilleurs prix pour les services 
qui sont utiles et on sait faire tomber en marche ces objets bizarres portants 
des noms qui font peur : « routeur, switch, lns, serveur dns… »

Et ensuite, on y va petit à petit. Pas de grande folie, pas de couverture 
totale de tel village, pas d’investissements colossaux. Non, on a commencé avec
Pclight par un investissement en matériel de 500 € et un coût mensuel récurrent
à payer de 60 €. C’était début 2013, moment où les premiers adhérents ont été 
reliés à des connexions proposant un débit descendant de 12Mbps et un débit 
montant de 1Mbps. Du simple ADSL, en fait.

Le schéma technique est compréhensible par n’importe qui : une ligne ADSL, un 
bête câble réseau, une antenne wifi au bout, accrochée à la cheminée, la même 
en face plus loin, et un ordinateur au bout du câble.

C’est ce qu’on fait depuis 4 ans : mettre des antennes wifi en face les unes 
des autres pour amener des connexions internet dans la campagne.

Avec un travail 100% bénévole, en dehors des prestations dangereuses réalisées 
par des antennistes professionnels, on en est rendus à 370 connexions finales 
actives et un peu plus de 700 antennes installées. Du coup, le budget de 60 € 
par mois a un peu grossi, le récurrent mensuel qui rentre, une fois la TVA 
déduite, est d’environ 8000 € qui permettent aujourd’hui de financer :

  * Trois arrivées de « fibre optique entreprise », les mêmes que celles 
    décrites plus haut, qui ont coûté fort cher à l’installation mais qu’on a 
    pu offrir aux adhérents avec leur argent mis en commun dans la coopérative.
  * Un cœur de réseau parisien composé de quatre routeurs servant à accueillir 
    d’une part l’arrivée de ces fibres optiques et des liens ADSL et VDSL que 
    nous utilisons sur certaines portions isolées du réseau, et d’autre part 
    les interconnexions avec 300 autres opérateurs de toutes tailles avec qui 
    nous échangeons le trafic des adhérents.
  * L’achat de matériel et de prestations pour continuer à déployer le réseau 
    et l’améliorer.

Le modèle économique est idéal : plus il y a de personnes reliées, plus le 
budget mensuel augmente, plus on peut augmenter les débits disponibles en en 
faisant profiter tout le monde. Certains bénéficient aujourd’hui d’un débit de 
60 méga, toujours pour 30 € TTC par mois.

L’objectif à court terme est de commencer à creuser nous mêmes ces fichus trous
pour y mettre de la fibre optique. Même si certains douteront toujours, l’union
fait la force, et nos agriculteurs ont tout le matériel nécessaire pour faire 
des trous. Avec ce principe de fonctionnement, une coopérative anglaise arrive 
à un investissement tout compris (fibre, génie civil, matériel actif, 
déploiement chez les gens, connectivité vers internet) de 1200 € par habitation
connectée avec un débit disponible de 1000Mbps pour chacun.

Concernant le travail déjà réalisé avec le wifi sur notre réseau, il n’est pas 
condamné, puisque la fibre viendra en remplacement des liens wifi les plus 
chargés pour les rendre plus fiables et performants et que les antennes 
pourront être réinstallées pour étendre encore le réseau plus loin, voir, 
pourquoi pas, les céder à d’autres initiatives ailleurs.

A plus long terme, il s’agit de créer des emplois qualifiés et non 
délocalisables autour d’un projet économique, social et solidaire.

La totalité des données financières sont accessibles en temps réel aux 
adhérents, tous les outils et méthodes de travail sont publics et l’ensemble 
des actions menées sont ouvertes à qui veut bien se donner la peine de venir à 
notre rencontre.

En bref, soutenir nos actions présente un risque : celui qu’on aille plus vite,
plus fort et plus loin. C’est promis, on ne se moquera pas de celles et ceux 
qui pourraient venir en nous disant « bon, ok, au temps pour moi, c’est un vrai
projet que vous avez, comment on avance ensemble maintenant ? ».

Eh, t’es bien mignon avec ton association de Trotskystes là… on peut pas baser 
la stratégie numérique d’un département là dessus.

C’est assez délirant comme idée, je le reconnais.

D’ailleurs, une petite ligne sur les associations en question. Depuis fin 2012,
Pclight sonnait tantôt comme une douce musique (aux oreilles de certains, 
délaissés des sphères numériques, qui voient là une bonne opportunité de s’en 
sortir), tantôt comme une rengaine plutôt enquiquinante (pour d’autres, 
habitués à des fonctionnements plus institutionnels). C’était un brin voulu. En
plus de faire du réseau, on est également une belle bande d’agitateurs qui 
aimons coller de grands coups de pieds dans la fourmilière. Pas super sympa, 
mais nécessaire.

Certains ont pu se demander ce qui se passait avec cette histoire de Pclight & 
SCANI. Sans rentrer trop dans les détails, des divergences de point de vue 
concernant entre autre la gouvernance et la taille des projets a mené à une 
séparation en deux structures. Ça a probablement été fort mal géré, mais 
passons, le temps a fait son œuvre et les deux structures envisagent à présent 
des actions communes.

L’idée n’est pas d’avoir à faire un choix entre blanc ou noir, entre 
conservateur et 68’tards, entre bien et mal, entre capitaliste et communiste, 
entre gros ou petits mais bien de saisir les opportunités pertinentes au moment
où elles se présentent avec un seul et unique objectif : le bien commun.

C’est ronflant comme objectif, même un poil arrogant, OK. Mais c’est comme ça, 
faudra vivre avec.

Et si on arrive à bosser en bonne intelligence avec le reste des opérateurs, 
les élus, les autres associations, les habitants, les coopératives, les 
entreprises, la région, l’état, etc. qui sait où on ira ?

Super, tu m’as convaincu. Je suis élu, je fais quoi ?

Bon, déjà, tu retournes en haut de la page et tu vas lire une seconde fois.

Ensuite, SCANI est une coopérative. Pour un élu, ça veut donc dire deux choses 
:

  * tu peux venir à notre rencontre et même, avec un peu de bol, nous demander 
    de venir te voir (par mail, de préférence), pour t’expliquer les points que
    tu n’as pas compris et discuter de ce que la collectivité que tu 
    représentes peut apporter au projet (délégation de personnel, mise à 
    disposition de points hauts, prêts d’engins…)
  * tu peux aussi soutenir l’activité de la coopérative en investissant au 
    capital. Ça passe par une délibération et il faut, ensemble, veiller à ce 
    que l’investissement public ne dépasse pas l’investissement privé et à la 
    façon dont le capital investi sera utilisé par SCANI, mais c’est un bon 
    moyen de dépenser l’argent de tes électeurs puisque tu ne le dépenseras pas
    : il reviendra dans les caisses communes lorsque ce à quoi il aura servi 
    aura été rentabilisé (à supposer qu’on ne se plante pas, bien entendu …). 
    Tu trouveras un peu de littérature en cliquant ici[1].

Au boulot maintenant !

Liens:
[1]: http://rtes.fr/IMG/pdf/Reperes_SCIC_Pages.pdf (lien)