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+++ b/Mmo__lusage_de_ceux_qui_veulent_avancer.txt
@@ -0,0 +1,525 @@
+Titre: Mémo à l’usage de ceux qui veulent avancer
+Auteur: Bruno
+Date: Wed 07 Dec 2016 22:47:46 +0100
+Lien: https://blog.spyou.org/wordpress-mu/2016/12/07/memo-a-lusage-de-ceux-qui-veulent-avancer/
+
+[Le présent article a été en grande partie écrit en avril 2016 et légèrement
+retouché et actualisé en décembre]
+
+Après quatre ans à fréquenter des élus et fonctionnaires de ma nouvelle
+campagne d’adoption, et plus généralement toute personne avec qui je me suis
+entretenu à propos de numérique ou, plus généralement, de politique, la phrase
+que j’ai dû entendre le plus, c’est « mais de toute façon, qu’est-ce qu’on peut
+bien y faire ? »
+
+A propos d’un peu tout. De l’absence de connectivité fonctionnelle de façon
+satisfaisante dans nos campagnes, d’usage de trucs dans le cloud quitte à
+perdre toute notion de ce qu’est la vie privée voire intime, de dépenses de
+fonds publics totalement idiotes, etc.
+
+Vous me voyez venir, je vais prendre mon cheval favori : le numérique, et je
+vais en parler pour ce qui concerne une zone que je commence à connaître un peu
+: l’Yonne.
+
+« Mais qu’est-ce qu’on peut bien y faire ? »
+
+Dans l’Yonne, il y a en gros deux grosses agglomérations, Sens et Auxerre,
+représentant quelque 120000 habitants sur 720 kilomètres carrés quand le
+département dans sa totalité en compte 342000 sur 7420 kilomètres carrés. On a
+donc, à la grosse, 35% de la population qui habite sur 10% du territoire.
+
+Ces deux agglomérations ont bénéficié d’une « convention AMII ». Ça a l’air
+plutôt sympathique, « ami ». Même quand on commence à lire ce qu’en dit la
+presse, ça a l’air cool : « la fibre optique chez l’habitant tout payé par un
+opérateur sans une once d’argent public ». On fonce donc inévitablement dans le
+panneau, quand on est un élu, surtout quand on n’a pas lu les petites lignes et
+l’explication de texte.
+
+Une petite ligne parmi d’autres
+
+Cette convention AMII concerne les particuliers. Exit les entreprises, exit les
+hôpitaux, exit les choses qui, grosso modo, ont besoin de plus de débit que la
+moyenne. « Pas grave » va-t-on nous répondre, « ceux-là peuvent souscrire des
+offres entreprise ». Oui, 4000 euros de frais d’installation (quand on se
+débrouille TRÈS BIEN) et entre 600 et 3000 euros par mois en fonction du débit
+et des services voulus.
+
+Oui, on croit rêver. On pose donc légitimement la question « mais pourquoi
+vais-je aller payer des milliers d’euros pour relier le local de mon entreprise
+à un débit suffisant alors que dans le quartier d’à côté, chez moi, j’ai la
+fibre pour 35 euros par mois avec deux ados qui doivent consommer 20 fois plus
+de données que ma secrétaire ? ». Et là, on s’accroche bien à son fauteuil : «
+parce que, Monsieur, C’EST PAS LA MÊME FIBRE ». Et vous savez le pire ? Ça
+passe. Ces empaffés ont réussi à faire croire que ce n’était pas la même fibre.
+
+Eh ben si, en fait, c’est la même. Toute pareil que celle qui va aux domiciles
+du quartier résidentiel. A quelques détails près : la « fibre entreprise »
+n’est mutualisée qu’au niveau du NRO au lieu de l’être au PM (la belle affaire…
+Vous ne savez pas ce que sont un NRO ou un PM ? En gros, de grosses armoires
+dans lesquelles on branche plusieurs fils ensemble sur un autre fil. Des
+multiprises réseau, quoi), et elle bénéficie généralement d’une garantie de
+temps de rétablissement en cas de panne.
+
+« Aaahhh ouiiii, donc c’est quand même vachement mieux que le FTTH chez moi,
+cette fibre entreprise ». Oui, si vous avez besoin d’une garantie de
+rétablissement en 4h et d’un tuyau dédié jusqu’au central téléphonique. Mais au
+fait, vous avez quoi aujourd’hui pour accéder à internet ? Ah, une livebox. Et
+la dernière fois qu’elle est tombée en panne, ça a pris quoi ? 2 semaines pour
+retrouver une connexion ? Ah, chiant .. Mais ça vous a empêché de bosser ? Non,
+ben non, vous vous êtes débrouillés avec le voisin ou des clés 3G. Et vous avez
+quoi comme débit ? 10 méga ? Et ça va ? Oui, ça met juste un peu de temps pour
+envoyer un mail avec des pièces jointes mais on s’y fait. Ben oui.
+
+Donc en réalité, vous avez juste besoin d’une connexion plus performante, pas
+énormément plus performante, juste un peu, allez, soyons fous, 20Mbps
+symétriques… mais sinon, vous êtes content. Et vous n’allez sûrement pas
+investir l’équivalent d’un SMIC mensuel pour vous payer une fibre, non, vous
+êtes un brin plus intelligent, vous allez embaucher quelqu’un si vous avez des
+sous devant vous.
+
+Explication de texte
+
+Quand un opérateur comme Orange ou SFR signe une convention AMII, il fait donc
+croire à sa victime qu’il est son sauveur et qu’il va sur ses fonds propres
+(grand prince, en plus) déployer un réseau tout beau tout neuf que les
+électeurs ils vont être super contents. Promis, dans 5 ans, on a fini, et on
+s’arrangera pour avoir fait le plus gros dans les endroits à problèmes, comme
+ça, aux prochaines élections, vous aurez un bon argument pour être réélu.
+
+Et puis une fois signé, il se passe quoi ? Ben il se passe que des
+agglomérations comme Sens et Auxerre sont déjà, à quelques exceptions notables
+près, plutôt pas trop mal servies et que l’investissement sur fonds propres
+promis par l’opérateur qui aménage le réseau FTTH ne concerne que l’horizontal
+(les fibres sous le trottoir) mais ni le vertical (dans les immeubles) ni le
+branchement des pavillons… qui sont à la charge de l’opérateur qui va vouloir
+relier son client, donc, in finé, du client. Prix de ce petit luxe qui consiste
+généralement à tirer quelques dizaines de mètres de fibre ? Entre 200 et 800 €.
+
+Évidemment, les opérateurs sont malins, ils n’annoncent pas des frais de mise
+en service de ce genre là, non. Ils noient ce montant dans l’engagement.
+
+« Bonjour, vous avez déjà de l’ADSL qui pédale pas trop mal, mais c’est
+hasbeen. Prenez la fibre, c’est QUE 45 € par mois avec un engagement 3 ans,
+vous pourrez regarder 12 chaînes HD en même temps ! ». Alors, je m’engage 3 ans
+avec un opérateur, je paie plus cher, mais en fait j’en ai pas besoin parce que
+j’ai que deux yeux et que j’ai beau essayer, je peux pas regarder deux trucs
+différents en même temps.
+
+Et du coup, que dit l’opérateur à la collectivité avec qui il a signé la
+convention AMII ? « Euhh bon en fait on vend beaucoup moins que prévu, et comme
+on comptait un peu dessus pour financer le reste du déploiement, ben il va
+durer plus longtemps que prévu, mais vous pouvez rien y faire, c’est marqué
+dans le contrat, article 156 alinéa 16876″.
+
+Tadaaaa.
+
+Cerise sur le gâteau
+
+L’opérateur qui a réussi à arracher une convention AMII aux grands pôles
+urbains l’a mis bien profond au département et à la région concernés. Eh oui,
+on dit qu’il a vitrifié la zone. Interdiction pour toute collectivité de venir
+investir un centime sur la chasse gardée de l’opérateur en matière
+d’aménagement numérique pendant la durée de la convention.
+
+Du coup, il se passe quoi ? Il se passe que les zones les plus peuplées (qui
+sont moins chères à déployer, compte tenu de la densité de logements) sont
+exclues de la péréquation que pourrait effectuer un département pour créer un
+réseau d’initiative publique. Reste les zones moins densément peuplées qui
+coûtent plus cher à couvrir en fibre.
+
+En résumé, la boite privée riche qui fait des bénéfices s’occupe de couvrir là
+où ça coûte pas cher mais ou personne n’en a besoin, et le secteur public déjà
+exsangue doit se démerder avec les zones qui coûtent cher mais ne le fait pas
+et les laisse moisir faute de moyen.
+
+Bien joué, l’AMII.
+
+Bon, du coup, on fait quoi, nous, collectivité petite ou grosse ?
+
+On se demande comment faire pour régler le léger problème des campagnes
+avoisinant ces centres urbains qu’un gros opérateur a phagocyté, vu qu’on peut
+pas faire péter les conventions qui ont été signées.
+
+On va se renseigner là où les gens ont l’air de savoir ce qu’ils font, chez les
+grands opérateurs. Une commune du coin a tenté de se démerder, téléphonant à
+quelques opérateurs nationaux, disant « coucou, on voudrait créer un réseau
+fibre sur notre commune, on paie, vous voulez bien venir y vendre vos offres.
+Ils se sont fait rire au nez sur le thème : « Mais vous êtes ridicules. C’est
+trop petit. On prendra même pas le train pour venir voir. Ça nous intéresse pas
+».
+
+Il s’agissait, pour que les choses soient claires, que la ville finance et
+construise un réseau pour que ces messieurs les opérateurs n’aient rien à
+investir et puissent débarquer avec leurs offres pour les vendre aux gens.
+Plutôt sympa, moi, je dirais.
+
+Bon, du coup, on pose la question : « à partir de combien ça vous semble
+intéressant ? ». Là, on vérifie qu’on est bien assis, la ville a demandé : trop
+petit. La communauté de commune a demandé : trop petit. Le département a
+demandé : trop petit. Oui oui, ces gens là ne veulent discuter qu’avec un truc
+à l’échelle régionale.
+
+Et comme ils ont embauché des lobbyistes doués, ils ont même réussi à faire
+gober à l’état qu’il était nécessaire de freiner toute velléité locale de
+construction de réseaux optiques en ne réservant les subventions état et Europe
+qu’aux projets d’envergure régionale. Il faut le savoir, aujourd’hui, une
+collectivité territoriale ne fait RIEN si il n’y a pas au moins un bout de
+subvention qui vient de plus haut. Alors qu’elles pourraient souvent faire
+quand même quelques trucs, mais c’est un autre débat.
+
+Bon ben, du coup, on va rien faire hein. Enfin, rien de concret. On va voter un
+budget. Allez, 55 millions d’euros. Hop. L’Europe va en payer 12, l’état 18, le
+département 14 et on va aller siphonner les 11 millions restants dans les
+caisses de nos communautés de communes, elles referont leurs trottoirs ou leurs
+terrains de foot plus tard.
+
+Bon. Et avec ces 55 millions on fait quoi ?
+
+On a tout bien écouté Orange, ils nous on dit que la fibre c’était au moins
+2000 € par foyer compte tenu de notre densité de population mais que eux avait
+une solution magique géniale qui coûte deux fois moins cher, et qui consiste à
+rapprocher la fibre de chez l’habitant. Pas l’y amener, hein, la rapprocher.
+Nom de code « Montée en débit », MeD ou PRM chez les initiés.
+
+Bon, je la fais courte pour ceux qui ne connaissent pas le principe de la
+montée en débit : ça monte pas bien haut.
+
+Si l’ADSL ne marche pas ou pas bien à certains endroit, c’est parce que les
+lignes de téléphones sont trop longues. Du coup, le principe de la PRM, c’est
+de remplacer un bout de ces lignes de téléphones par une fibre optique (qui
+souffre beaucoup moins de la baisse de qualité avec la distance) et, au bout,
+de planter un mini central téléphonique sur lequel on viendra raccrocher les
+lignes. Les lignes sont plus courtes, l’ADSL marche mieux. CQFD.
+
+En plus, ça « prépare l’arrivée de la fibre ». Pensez donc, ils enterrent 6
+paires de fibres pour relier un mini central téléphonique perdu dans la pampa
+sur lequel il y a quelques dizaines de lignes. Et ils veulent nous faire croire
+que 6 paires sont suffisantes pour proposer, plus tard, une offre FTTH digne de
+ce nom ? Raté, il faudra changer le câble en question, ne serait-ce que parce
+que l’ARCEP impose qu’il y ait une fibre par habitant qui arrive au point de
+mutualisation le plus proche, que celui-ci doit couvrir au moins 300 logements
+et que bon nombre d’opérations PRM actuellement en route portent sur des PM de
+moins de 90 lignes. Donc en fait, ça ne prépare rien du tout.
+
+De toute façon, le gros du coût de déploiement de la fibre ne concerne pas
+cette longue distance effectuée entre le central d’origine et le nouveau petit,
+bien souvent faite en bordure de route facile à creuser, mais bien la mise en
+service jusqu’à l’abonné où il faut se torturer l’esprit pour ne pas trop
+ravager le devant de la maison pour y faire rentrer le nouveau câble.
+
+Mais s’il n’y avait que ça, on s’en contenterait. Là où il y a un hic, c’est
+que cette fameuse offre PRM est :
+
+ * Affreusement chère : en ce qui concerne l’Yonne, elle va concerner, ces
+ prochaines années, un peu moins de 19000 foyers pour un coût total d’un peu
+ moins de 22 millions d’euros. Quelque chose comme 1150 € par foyer
+ bénéficiant de l’augmentation de débit.
+ * Une subvention à Orange : il n’y a qu’eux qui peuvent la mettre en œuvre
+ puisqu’il s’agit de leur réseau. L’excuse typique étant « c’est faux, il y
+ a plusieurs entreprises qui proposent l’offre PRM cuivre, il y a donc libre
+ concurrence ! » oui, et qui, une fois la phase d’étude réalisée,
+ sous-traitent la réalisation du boulot à… Orange.
+ * Contre performante au possible : pour cette somme modique offerte à
+ l’opérateur historique, l’ADSL pourri ou inexistant d’aujourd’hui deviendra
+ un ADSL qui marche à peu près dans 2 à 6 ans, on « investit » donc de
+ l’argent pour garder à la traîne ceux qui y sont déjà.
+
+Pendant ce temps, vous continuez à payer directement ou indirectement
+l’entretien du réseau téléphonique (qui n’est plus assuré qu’en cas d’extrême
+urgence) sur vos factures mensuelles, et vous allez donc, en plus, payer, via
+vos impôts, le fait de pouvoir continuer encore longtemps à financer cet
+entretien inexistant. Heureusement que plus de la moitié sont payés par
+l’Europe et l’état, hein, on se sent moins seuls.
+
+Bon, ça, c’est fait, un petit cadeau de 22 millions d’argent public à une boite
+qui caracole en tête des plus gros bénéfices à la bourse de Paris. Admettons.
+La consolation c’est que c’est encore l’état qui capte 13% de ces dividendes.
+On n’a pas tout perdu.
+
+Bon, et les 33 millions qui restent, on en fait quoi ?
+
+On va quand même faire un peu de fibre, hein. Bon, on le fait où ? Bon, ce bled
+là, celui là et celui là y sont de gauche, je les aime pas, donc pas chez eux.
+Là bas, c’est trop paumé et Orange a dit que ça coûterait trop cher, donc on
+n’ira pas. Bon, ben on va déployer dans les villes les plus peuplées en dehors
+des deux zones AMII et uniquement si elles sont du même bord politique que
+nous. Allez, c’est ficelé, on y va.
+
+Au fait, on fait comment la fibre ? Tu sais, toi, René ? Non. Francis non plus
+? Bon… on va attendre que la région se bouge le fion pour nous pondre un truc,
+tout seuls on n’y arrivera pas.
+
+Attend, on va quand même sortir un appel à projet pour les zones industrielles
+histoire de faire croire qu’on se préoccupe de nos entreprises. Non,
+t’inquiète, s’il y en a qui répondent on fera comme d’habitude : les morts.
+Avec un peu de bol Orange ouvrira des offres fibre entreprise sur ces zones et
+on pourra valablement retirer l’appel à projet avant que ça râle trop fort en
+disant « ah ben non, à Bruxelles ils ont dit que quand le privé couvre, nous on
+n’a plus le droit ».
+
+3 ans plus tard, la région, toute contente de se marier avec la Franche-Comté,
+parvient à monter une Société Publique Locale pour piloter les déploiements
+FTTH. Bon, en vrai, elle va aussi édicter les règles d’ingénierie et choisir un
+délégataire privé qui sera chargé de se mettre dans la poche les 33 millions de
+l’Yonne (et les millions des autres départements) pour construire un beau
+réseau FTTH sur lequel ces messieurs « opérateurs d’envergure nationale »
+viendront vous vendre leurs offres.
+
+« Gérer ça en propre ? Mais vous n’y pensez pas Geneviève, Orange a dit que
+c’était compliqué, la fibre. Déjà qu’on n’est plus foutus de gérer nous-mêmes
+les réseaux d’eau potable… »
+
+Petite consolation tout de même, les opérateurs qui vont venir vendre leur
+service payeront (en principe) une dîme mensuelle pour chaque ligne qui
+reviendra dans les caisses des départements. C’est donc un investissement,
+contrairement à la montée en débit PRM qui est une subvention à fonds perdus.
+
+Espérons juste qu’au détour de l’appel à délégation de service public qui sera
+passé, les deux ou trois candidats « sérieux » qui se présenteront n’imposeront
+pas de clauses bien tordues (du genre « pour pouvoir jouer sur le réseau il
+faut le cofinancer à hauteur de 25% ») leur permettant de s’arroger à eux seul
+le droit d’exploiter le réseau public. L’avenir nous le dira.
+
+Bon, eh, Spyou, t’es sympa avec ton roman fleuve, mais tu nous as toujours pas
+dit ce qu’on pouvait faire, là.
+
+C’est pas faux. Mais il fallait quand même bien que je vous brosse le tableau
+avant de le barbouiller avec ma gouache.
+
+Deux ou trois autres détails, que vous ayez bien l’image en tête.
+
+Déployer un réseau fibre, c’est de la plomberie. Tout pareil que de l’eau ou
+n’importe quel autre réseau déjà existant : il faut enterrer des tuyaux ou
+planter des poteaux pour ensuite y mettre des câbles dans lesquels il y a de la
+fibre.
+
+Petit point financier :
+
+ * Un mètre de fibre, c’est entre une poignée de centime et 2 euro en fonction
+ de la quantité achetée et du nombre de fibres dans la gaine.
+ * Un mètre de fourreau pour mettre la fibre, c’est du même acabit.
+ * Un poteau, c’est quelque chose entre 50 et 100 euros.
+ * Un mètre de tranchée pour enterrer un fourreau, c’est entre 10 euros (dans
+ un champ) et 3 ou 400 euros (en ville où il faut faire attention aux autres
+ réseaux, reconstruire le marbre plaqué or du trottoir, etc.)
+
+Bilan de ce point financier : la fibre, ça coûte rien. Ce qui coûte, c’est de
+faire des trous.
+
+Ça fait déjà un bon moment que toutes les collectivités le savent : quand on
+fait un trou quelque part, on en profite, on met des fourreaux vides en trop
+dedans, ça évitera d’avoir à creuser à nouveau, et dans le pire des cas, on
+aura perdu quelques centimes, c’est pas bien grave.
+
+Alors qu’on m’explique pourquoi, pas plus tard que l’année dernière dans
+l’Yonne, plus de 80km de tranchées ont été réalisées (pour celles dont j’ai eu
+connaissance), dont certaines assez longues, sans qu’aucun fourreau vide n’ait
+jamais été posé.
+
+Florilège :
+
+ * « On savait pas comment faire donc on n’a rien fait »
+ * « Ça traversait plusieurs communes et il y en avait dans le tas qui ne
+ voulaient pas payer plus cher que le strict nécessaire donc on n’a rien
+ fait »
+ * « C’est une intervention faite par un gestionnaire de réseau privé, si on
+ voulait mettre des fourreaux vides, on aurait dû cofinancer les travaux
+ donc on n’a rien fait »
+ * « Quand on pose un type de réseau, on fait appel à une entreprise
+ spécialisée dans ce type de réseau. Si on lui demande de poser un autre
+ type en même temps, elle fait n’importe quoi et c’est la merde
+ intersidérale donc on n’a rien fait »
+
+Et vous demandez encore ce que vous pouvez faire ?
+
+J’ai d’autres idées, si profiter des trous qui sont faits pour préparer
+l’avenir n’est pas à votre portée.
+
+Vous avez l’immense chance (des communes d’autres départements tueraient pour
+l’avoir) de bénéficier de l’implantation, sur votre territoire, d’une
+initiative locale, portée bénévolement par des gens motivés, qui ont les
+compétences, le temps et l’envie de faire quelque chose. Ils ont, pour arriver
+à leurs fins, créé une structure éminemment démocratique et totalement
+transparente, tant financièrement que techniquement. Pourquoi persister à ne
+pas les considérer, sans même parler de les soutenir, hein ?
+
+Ils sont mal fringués et leurs principes ont l’air vaguement communistes… ok…
+j’ai d’autres idées, si soutenir les initiatives locales n’est pas de votre
+goût.
+
+Une idée plus administrative, tiens. Se grouper pour faire pression. Il existe
+des tas d’organisations regroupant de petites communes rurales. Il serait peut
+être temps d’envoyer promener le diktat privé imposé par Bruxelles et faire
+pression sur notre état pour qu’il oblige ceux qui en ont les moyens d’assurer
+l’investissement nécessaire à la sortie du tiers monde numérique de nos
+territoires. Pas en suggérant une nouvelle taxe qui retombe systématiquement
+sur le nez des clients comme l’a proposé un de nos députés locaux, mais en
+réévaluant par exemple la notion de service universel pour y inclure l’accès à
+internet avec un débit minimal valable.
+
+Non ? Si faire bosser vos équipes sur un nouveau genre de projet qui a l’air un
+peu révolutionnaire ça vous colle la frousse, j’ai encore une pochette surprise
+dans ma besace.
+
+Pourquoi ne pas suivre les buts que vous vous êtes fixés quand vous avez
+demandé à un cabinet de conseil d’écrire le schéma directeur d’aménagement
+numérique à votre place ? Ils n’y ont pas mis QUE des âneries hein. Loin de là.
+Il y a même une idée toute bête et qui, pourtant, n’a toujours pas été mise en
+œuvre, bien qu’elle soit un des prérequis avant de pouvoir éventuellement
+penser à faire de la fibre : recenser le génie civil disponible. Mettre des
+outils de cartographie à disposition de toutes les structures administratives,
+et pourquoi pas de l’ensemble de la population pour aller plus vite ?
+
+Maintenant, si même faire ce que vous aviez dit que vous feriez n’est pas
+possible… je ne vois qu’une solution, continuez à chercher des papiers et des
+chèques à signer en espérant que les choses se feront toutes seules.
+
+En parlant de chèques… Chaque année, les opérateurs paient une Redevance
+d’Occupation du Domaine Public (RODP) aux collectivités dont ils occupent tout
+ou partie de l’espace public, en souterrain ou en aérien. Vous êtes-vous un
+jour demandé d’où sortait le montant en bas de la feuille ? Je serais vous, je
+creuserais le sujet. Sachez que si vous trouvez une bourde dans le calcul, vous
+pouvez demander le complément de façon rétroactive sur 5 ans. Allez, je vous
+aide, c’est Orange qui vous donne le chiffre, et en dehors d’aller recenser le
+réseau physiquement dans votre commune, vous n’avez aucun moyen de vérifier sa
+validité. Action.
+
+Moi, je vais continuer chaque semaine à connecter 2 à 10 personnes au réseau de
+SCANI, ça va être long, on sera toujours une bande de gnioufs bizarres qui font
+pas du vrai internet, mais à la fin, quand on comptera les points, nous, on
+saura ce qu’on aura fait pour le département.
+
+Je m’énerve pas, Madeleine, j’explique.
+
+Le truc qu’on fait chez SCANI est assez simple à comprendre. On prend de
+l’internet où il marche et on l’emmène là où il ne marche pas. On ne pirate pas
+un opérateur quelconque, nous SOMMES opérateur. N’en déplaise à certains, «
+être opérateur », ça se résume à cocher quelques cases sur le formulaire du
+site de l’ARCEP et de cliquer sur « envoyer ».
+
+Comme on a avec nous quelques personnes du métier qui sont tombés dedans quand
+ils étaient petits, on arrive à obtenir les meilleurs prix pour les services
+qui sont utiles et on sait faire tomber en marche ces objets bizarres portants
+des noms qui font peur : « routeur, switch, lns, serveur dns… »
+
+Et ensuite, on y va petit à petit. Pas de grande folie, pas de couverture
+totale de tel village, pas d’investissements colossaux. Non, on a commencé avec
+Pclight par un investissement en matériel de 500 € et un coût mensuel récurrent
+à payer de 60 €. C’était début 2013, moment où les premiers adhérents ont été
+reliés à des connexions proposant un débit descendant de 12Mbps et un débit
+montant de 1Mbps. Du simple ADSL, en fait.
+
+Le schéma technique est compréhensible par n’importe qui : une ligne ADSL, un
+bête câble réseau, une antenne wifi au bout, accrochée à la cheminée, la même
+en face plus loin, et un ordinateur au bout du câble.
+
+C’est ce qu’on fait depuis 4 ans : mettre des antennes wifi en face les unes
+des autres pour amener des connexions internet dans la campagne.
+
+Avec un travail 100% bénévole, en dehors des prestations dangereuses réalisées
+par des antennistes professionnels, on en est rendus à 370 connexions finales
+actives et un peu plus de 700 antennes installées. Du coup, le budget de 60 €
+par mois a un peu grossi, le récurrent mensuel qui rentre, une fois la TVA
+déduite, est d’environ 8000 € qui permettent aujourd’hui de financer :
+
+ * Trois arrivées de « fibre optique entreprise », les mêmes que celles
+ décrites plus haut, qui ont coûté fort cher à l’installation mais qu’on a
+ pu offrir aux adhérents avec leur argent mis en commun dans la coopérative.
+ * Un cœur de réseau parisien composé de quatre routeurs servant à accueillir
+ d’une part l’arrivée de ces fibres optiques et des liens ADSL et VDSL que
+ nous utilisons sur certaines portions isolées du réseau, et d’autre part
+ les interconnexions avec 300 autres opérateurs de toutes tailles avec qui
+ nous échangeons le trafic des adhérents.
+ * L’achat de matériel et de prestations pour continuer à déployer le réseau
+ et l’améliorer.
+
+Le modèle économique est idéal : plus il y a de personnes reliées, plus le
+budget mensuel augmente, plus on peut augmenter les débits disponibles en en
+faisant profiter tout le monde. Certains bénéficient aujourd’hui d’un débit de
+60 méga, toujours pour 30 € TTC par mois.
+
+L’objectif à court terme est de commencer à creuser nous mêmes ces fichus trous
+pour y mettre de la fibre optique. Même si certains douteront toujours, l’union
+fait la force, et nos agriculteurs ont tout le matériel nécessaire pour faire
+des trous. Avec ce principe de fonctionnement, une coopérative anglaise arrive
+à un investissement tout compris (fibre, génie civil, matériel actif,
+déploiement chez les gens, connectivité vers internet) de 1200 € par habitation
+connectée avec un débit disponible de 1000Mbps pour chacun.
+
+Concernant le travail déjà réalisé avec le wifi sur notre réseau, il n’est pas
+condamné, puisque la fibre viendra en remplacement des liens wifi les plus
+chargés pour les rendre plus fiables et performants et que les antennes
+pourront être réinstallées pour étendre encore le réseau plus loin, voir,
+pourquoi pas, les céder à d’autres initiatives ailleurs.
+
+A plus long terme, il s’agit de créer des emplois qualifiés et non
+délocalisables autour d’un projet économique, social et solidaire.
+
+La totalité des données financières sont accessibles en temps réel aux
+adhérents, tous les outils et méthodes de travail sont publics et l’ensemble
+des actions menées sont ouvertes à qui veut bien se donner la peine de venir à
+notre rencontre.
+
+En bref, soutenir nos actions présente un risque : celui qu’on aille plus vite,
+plus fort et plus loin. C’est promis, on ne se moquera pas de celles et ceux
+qui pourraient venir en nous disant « bon, ok, au temps pour moi, c’est un vrai
+projet que vous avez, comment on avance ensemble maintenant ? ».
+
+Eh, t’es bien mignon avec ton association de Trotskystes là… on peut pas baser
+la stratégie numérique d’un département là dessus.
+
+C’est assez délirant comme idée, je le reconnais.
+
+D’ailleurs, une petite ligne sur les associations en question. Depuis fin 2012,
+Pclight sonnait tantôt comme une douce musique (aux oreilles de certains,
+délaissés des sphères numériques, qui voient là une bonne opportunité de s’en
+sortir), tantôt comme une rengaine plutôt enquiquinante (pour d’autres,
+habitués à des fonctionnements plus institutionnels). C’était un brin voulu. En
+plus de faire du réseau, on est également une belle bande d’agitateurs qui
+aimons coller de grands coups de pieds dans la fourmilière. Pas super sympa,
+mais nécessaire.
+
+Certains ont pu se demander ce qui se passait avec cette histoire de Pclight &
+SCANI. Sans rentrer trop dans les détails, des divergences de point de vue
+concernant entre autre la gouvernance et la taille des projets a mené à une
+séparation en deux structures. Ça a probablement été fort mal géré, mais
+passons, le temps a fait son œuvre et les deux structures envisagent à présent
+des actions communes.
+
+L’idée n’est pas d’avoir à faire un choix entre blanc ou noir, entre
+conservateur et 68’tards, entre bien et mal, entre capitaliste et communiste,
+entre gros ou petits mais bien de saisir les opportunités pertinentes au moment
+où elles se présentent avec un seul et unique objectif : le bien commun.
+
+C’est ronflant comme objectif, même un poil arrogant, OK. Mais c’est comme ça,
+faudra vivre avec.
+
+Et si on arrive à bosser en bonne intelligence avec le reste des opérateurs,
+les élus, les autres associations, les habitants, les coopératives, les
+entreprises, la région, l’état, etc. qui sait où on ira ?
+
+Super, tu m’as convaincu. Je suis élu, je fais quoi ?
+
+Bon, déjà, tu retournes en haut de la page et tu vas lire une seconde fois.
+
+Ensuite, SCANI est une coopérative. Pour un élu, ça veut donc dire deux choses
+:
+
+ * tu peux venir à notre rencontre et même, avec un peu de bol, nous demander
+ de venir te voir (par mail, de préférence), pour t’expliquer les points que
+ tu n’as pas compris et discuter de ce que la collectivité que tu
+ représentes peut apporter au projet (délégation de personnel, mise à
+ disposition de points hauts, prêts d’engins…)
+ * tu peux aussi soutenir l’activité de la coopérative en investissant au
+ capital. Ça passe par une délibération et il faut, ensemble, veiller à ce
+ que l’investissement public ne dépasse pas l’investissement privé et à la
+ façon dont le capital investi sera utilisé par SCANI, mais c’est un bon
+ moyen de dépenser l’argent de tes électeurs puisque tu ne le dépenseras pas
+ : il reviendra dans les caisses communes lorsque ce à quoi il aura servi
+ aura été rentabilisé (à supposer qu’on ne se plante pas, bien entendu …).
+ Tu trouveras un peu de littérature en cliquant ici[1].
+
+Au boulot maintenant !
+
+Liens:
+[1]: http://rtes.fr/IMG/pdf/Reperes_SCIC_Pages.pdf (lien)