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+Titre: La guerre des droits numériques peut changer le Web libre à tout jamais
+Auteur: Thibault Prévost
+Date: Thu 23 Feb 2017 07:00:00 +0100
+Lien: https://motherboard.vice.com/fr/article/la-guerre-des-droits-numeriques-peut-changer-le-web-libre-a-tout-jamais
+URL de téléchargement de Podcast: https://video-images.vice.com/articles/58ada574fb5cbf0c9de57859/lede/1487775094459-1620.jpeg
+
+Lorsque Tim Berners-Lee, fraîchement débarqué du CERN au MIT pour travailler
+sur son excitant projet informatique, créa la World Wide Web Corporation (W3C)
+en 1994, il n'avait probablement pas imaginé qu'un quart de siècle plus tard,
+ses inventions – le WWW, les adresses URL et les protocoles HTTP et HTML -
+formeraient le socle de la plus grande invention de l'humanité et que la moitié
+de la population mondiale passerait ses journées rivée sur un écran pour
+profiter de l'incommensurable offre de contenu dispensée par Internet. Avant
+d'être le Saint-Patron du Web, « TimBL » est un chercheur, et les chercheurs
+ont souvent le réflexe de mettre gratuitement leur travail à disposition.
+Depuis sa création, les brevets du système sont donc libres, et le concept
+d'ouverture et de partage est gravé à jamais dans l'ADN du Web[1]. On appelle
+ça l'Internet libre, et ça fonctionnait vachement bien lorsque le réseau
+n'était utilisé que par la communauté scientifique. Sauf qu'en 2017, Netflix,
+Hollywood et les ayant-droits ne diffusent pas des contenus par pure
+philanthropie, et c'est là qu'entre en scène la gestion numérique des droits[2]
+, ou digital rights management (DRM).
+
+Pour résumer, les DRM sont tous les dispositifs numériques qui contrôlent (et,
+de fait, restreignent) l'utilisation que vous pouvez faire de contenus en ligne
+appartenant à des distributeurs. Pensez à la restriction géographique des
+contenus (que l'UE commence doucement à faire sauter[3]), à l'interdiction de
+télécharger ou de copier, à l'exclusivité d'un contenu sur tel support ou tel
+distributeur, aux pubs obligatoires entre deux scènes, aux jeux vidéo
+impossible à jouer sans connexion Web, bref, à tous les trucs qui vous
+rappellent que, malgré votre abonnement Premium acquis à prix d'or, vous n'êtes
+jamais vraiment libres de faire ce que vous voulez de l'œuvre que vous avez
+achetée. 
+
+Seulement, si les DRM permettent effectivement à Hollywood et aux majors du
+disque de se faire un peu plus de pognon lorsque vous consommez en ligne, elles
+permettent également à vos chers artistes et créateurs indés luttant
+héroïquement contre les systèmes de production culturelle de masse de ne pas
+disparaître à cause des salopards de pirates que vous êtes. Du moins en
+théorie, parce que dans les faits, les DRM sont plus une nuisance qu'un
+véritable obstacle et n'ont généralement pas une espérance de vie très longue,
+au point que même un distributeur comme Ubisoft a jeté l'éponge[4] à force de
+perdre chaque bataille. Apparemment, mettre des antivols virtuels sur des CD,
+DVD ou jeux vidéo n'empêche pas des communautés de millions d'individus de les
+ouvrir, ou de simplement vouloir les exploser par simple question de principe.
+Las ! Netflix et compagnie[5] s'entêtent à dessiner des dispositifs coercitifs.
+
+Au-delà de savoir à qui profite le stream entre pirates et distributeurs, le
+problème fondamental, argumentent les partisans du Web libre[6], c'est que ces
+dispositifs empêchent les utilisateurs honnêtes de faire des trucs parfaitement
+légaux avec des contenus qu'ils ont acheté, comme filer un e-book à un pote,
+créer une liste de lecture audio ou tout simplement visionner un film
+indéfiniment. Transposez le concept dans le monde physique, et c'est comme si
+vous achetiez un objet vendu fondamentalement défectueux (ou defective by
+design[7]), qui s'autodétruit après un certain nombre d'utilisations et que
+vous ne pouvez en aucun cas modifier, tripatouiller ou utiliser d'une autre
+manière que celle prévue par le vendeur – dites voir, ça s'appellerait pas
+l'obsolescence programmée, par hasard ? Pour illustrer l'absurdité de la
+situation, Thibaut Brevet et son équipe ont installé un DRM sur une chaise, qui
+la ronge progressivement à mesure que des utilisateurs s'assoient dessus. Vu
+comme ça, c'est tout de suite plus clair.
+
+Chercheur en sécurité informatique = criminel ?
+
+Plus clair, mais toujours pas réglé : depuis la publication de son ébauche de
+standard [8] le 13 mai 2013, la W3C, qui contrôle l'implémentation de nouvelles
+normes et standards du Web, n'a toujours pas pris de décision officielle
+concernant la standardisation des DRM dans le protocole HTML 5. Quatre ans sans
+évolution, c'est long. Résultat : en l'absence de standard, les principaux
+navigateurs web ont choisi tout seuls d'implanter Encrypted Media Extensions
+(EME), une interface de programmation permettant d'intégrer gentiment les DRM
+personnels de Netflix et consorts –Internet Explorer vient avec Silverlight,
+Chrome est désormais fourni automatiquement avec le sien[9], Widewine, tandis
+que Firefox vous laisse le choix[10].
+
+Et voilà à quoi ressemble la guerre de tranchées depuis 2013 : d'un côté, les
+producteurs et distributeurs de contenu, comme Netflix, Hollywood et les
+majors ; de l'autre, l'Electronic Frontier Foundation[11] , les médias
+spécialisés (en France, Korben[12] ou Framablog[13]) ,les partisans du Web
+libre et une liste impressionnante de chercheurs en sécurité informatique[14],
+qui craignent une généralisation des DRM sur tout et n'importe quoi (polices,
+images, etc..), qui cadenasserait définitivement le Web en en faisant un
+sanctuaire remplis de trucs intouchables. Au milieu, les navigateurs, qui
+voudraient bien afficher le contenu de Netflix sans être forcément des
+inconditionnels des DRM, et la W3C, prise entre deux feux, qui ne parvient pas
+à trancher. Tim Berners-Lee, directeur de la W3C que les deux camps
+s'arrachent, s'est prononcé en faveur de la standardisation des DRM ? Tollé
+général[15] de l'autre côté. Car l'enjeu n'est ni plus ni moins que la
+sauvegarde de l'identité du Web originel. Et, dans un autre registre, la
+protection des chercheurs en sécurité informatique.
+
+Car comme l'explique magistralement un long papier d'Ars Tecnica[16], publié le
+13 février dernier, la prolifération des DRM et leur possible standardisation
+officielle par la W3C a un autre effet collatéral : elle expose les chercheurs
+en sécurité informatique à des poursuites pénales. Car en soi, les DRM n'ont
+pas de valeur légale, et servent de simples barrières posées là pour dissuader
+les gens d'utiliser librement les contenus. Pour combattre réellement le
+piratage, les distributeurs font appel au paragraphe 1201 du Digital Millenium
+Copyright Act américain (la fameuse « DMCA » que vous voyez invoquée dès que
+Youtube vous interdit de mater une vidéo tranquille) et son équivalent
+européen, l'European Union Copyright Directive (EUCD)[17], pour traduire les
+pirates en justice. Problème : la DMCA, si les DRM étaient standardisés par Tim
+Berners-Lee et sa corporation,  empêcherait également toute modification d'un
+contenu, ce qui est précisément le boulot des experts en sécurité informatique[18]
+, qui passent littéralement leur temps à désassembler intégralement des
+programmes pour les autopsier et proposer des correctifs aux bugs identifiés.
+
+Ironie de la situation : le DRM de Google, Wisewine, a connu un bug pendant six
+ans[19] avant qu'un white hat israélien (le pays n'a pas de loi similaire à la
+DMCA) ne le détecte. Si la standardisation passait, Google aurait pu l'attaquer
+en justice… et gagner. Le voilà, l'autre récif[20] qui s'annonce avec la
+standardisation des DRM : la fin de la culture du piratage éthique et de
+l'audit de sécurité indépendant, la criminalisation de chercheurs en sécurité
+informatique[11] pourtant systématiquement responsables de l'amélioration de
+logiciels. Bref, un énorme déséquilibre à l'horizon dans la structure du Web,
+selon le directeur du MIT Labs Joi Ito[21], qui anticipe un avenir où
+« l'intérieur des navigateurs sera hors-limites pour les chercheurs en
+sécurité, qui feront face à des punitions violentes pour avoir tenté de savoir
+si votre porte d'entrée sur Internet est digne de confiance. » Et,
+accessoirement, la naissance d'un véritable Eden du backdoor, puisque personne
+n'aurait plus le droit de vérifier leur présence dans les entrailles des
+logiciels propriétaires.
+
+Conscients des enjeux, les anti-DRM ont désormais adopté une position plus
+diplomate, en proposant à la W3C une alternative[22] : quitte à ce que la
+standardisation passe, tous les membres de la W3C (y compris les distributeurs
+de contenus) devraient s'engager à ne mener aucune poursuite contre les
+chercheurs en sécurité informatique triturant leurs programmes. Une manière
+d'obtenir, au moins, une garantie sur cet aspect, que la W3C semble avoir
+comprise : l'organisation a annoncé en janvier[23] qu'elle dévoilera, le 2 mars
+prochain, « une série de directives qui protégeront les chercheurs en sécurité
+et en vie privée (…). Cela représentera notre vision initiale des meilleures
+pratiques et servira d'entrée à un travail plus approfondi », a ajouté la W3C.
+S'ensuivra un appel à révision de Tim Berners-Lee au sujet du projet de
+standardisation sur l'EME. Après 4 ans passés à attendre un arbitrage, les deux
+camps de la bataille des DRM auront sans aucun doute les yeux braqués sur Tim
+Berners-Lee, qui pourrait potentiellement faire muter « son » Web après 25 ans
+de bons et loyaux services… ouverts et libres.
+
+Liens:
+[1]: http://home.cern/about/updates/2013/04/twenty-years-free-open-web (lien)
+[2]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Gestion_des_droits_num%C3%A9riques (lien)
+[3]: https://www.nextinpact.com/news/103214-europe-portabilite-contenus-realite-mitigee-des-2018.htm (lien)
+[4]: http://www.numerama.com/magazine/29784-drm-ubisoft-piratage.html (lien)
+[5]: http://www.numerama.com/magazine/30636-netflix-en-html5-avec-drm-sous-linux-aussi.html (lien)
+[6]: http://drm.info/what-is-drm.fr.html (lien)
+[7]: https://www.defectivebydesign.org/ (lien)
+[8]: http://www.theinquirer.net/inquirer/news/2267658/w3c-publishes-draft-html-drm-specification-amid-growing-opposition (lien)
+[9]: http://boingboing.net/2017/01/30/google-quietly-makes-optiona.html (lien)
+[10]: https://korben.info/drm-mozilla-pris-bonne-decision.html (lien)
+[11]: https://www.eff.org/fr/node/93071 (lien)
+[12]: https://korben.info/retour-sur-le-drm-dans-html5-le-point-de-vue-de-robin-du-w3c.html (lien)
+[13]: https://framablog.org/2013/10/11/drm-html5-video-tim-berbers-lee/ (lien)
+[14]: https://www.eff.org/deeplinks/2016/03/security-researchers-tell-w3c-protect-researchers-who-investigate-browsers (lien)
+[15]: https://www.eff.org/deeplinks/2013/10/lowering-your-standards (lien)
+[16]: https://arstechnica.co.uk/information-technology/2017/02/future-of-the-www-timbl-drm/ (lien)
+[17]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Directive_europ%C3%A9enne_sur_l'harmonisation_de_certains_aspects_du_droit_d'auteur_et_des_droits_voisins_dans_la_soci%C3%A9t%C3%A9_de_l'information_(2001) (lien)
+[18]: https://www.theregister.co.uk/2017/02/13/w3c_drm_security_battle/?page=1 (lien)
+[19]: https://arstechnica.co.uk/security/2016/06/chrome-drm-download-netflix-piracy/ (lien)
+[20]: https://www.theregister.co.uk/2017/02/13/w3c_drm_security_battle/?page=2 (lien)
+[21]: http://pubpub.ito.com/pub/dmca-drm-aml-kyc-backdoors (lien)
+[22]: https://www.eff.org/pages/objection-rechartering-w3c-eme-group (lien)
+[23]: https://lists.w3.org/Archives/Public/public-html-media/2017Jan/0006.html (lien)