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Titre: Loi de défense de la liberté d'expression
Auteur: Benjamin Bayart
Date: Mon 21 Jul 2014 22:52:00 +0200
Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2013/02/17/Loi-de-d%C3%A9fense-de-la-libert%C3%A9-d-expression

Il y a maintenant plus d'un an, j'ai participé à un atelier, baptisé #numnow, 
organisé par Terra Nova, avec comme question clef la neutralité du Net. Le 
point central de mon exposé sur le sujet était simple: pour réfléchir sur la 
neutralité du net, il faut partir de la question de la liberté d'expression, 
tout le reste découle naturellement. On avait alors monté un atelier, avec pas 
mal de monde, pour essayer d'écrire ce que pourrait être un projet de loi, ou 
une proposition de loi, sur le sujet. Un an plus tard, le cabinet de Christiane
Taubira, en charge du dossier, est toujours amorphe. Alors j'ai ressorti ce 
texte, et je vous le propose.

Proposition de loi visant à protéger la liberté d'expression

Exposé des motifs^[1[1]]

1. La liberté d'expression est définie depuis déjà plus de deux siècles, en 
droit français, par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du 
Citoyen de 1789, ainsi que par la jurisprudence constante du Conseil 
Constitutionnel dans le domaine. Cependant la protection offerte par ce texte 
de portée constitutionnelle est, de fait, plutôt théorique. L'article 11, en 
effet, pose un droit, et ne définit pas un délit.

Ainsi, un citoyen ne peut pas sur le simple fondement de ce texte saisir la 
justice du fait qu'il soit privé de cette liberté fondamentale.

2. Jusqu'à la fin du 20e siècle, l'exercice pratique de la liberté d'expression
trouvait principalement deux formes : les assemblées physiques qu'elles soient 
syndicales, populaires, parlementaires, etc. d'une part, et la liberté de la 
presse d'autre part.

Outre la loi de 1881 sur la liberté de la presse, la liberté d'expression est 
protégée par l'art. 431-1 du Code Pénal. Mais même cette protection restreinte 
à des cas particuliers (atteintes à l'autorité de l'État) vise seulement les 
atteintes qui pourraient être faites par menace ou violence et ne prend 
aucunement en compte les entraves techniques qui peuvent exister dans le monde 
numérique. Il faut donc étendre le champ de sa protection.

3. L'apparition d'Internet et son développement dans nos sociétés démocratiques
a bouleversé les modes d'exercice de la liberté d'expression. Celle-ci ne peut 
plus continuer à être considérée comme l'exclusivité des journalistes et des 
acteurs de la presse.

Le Conseil Constitutionnel lui-même a reconnu le rôle nécessaire joué par le 
domaine numérique dans l'extension du droit fondamental de libre communication 
des pensées et des opinions, dans sa décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009 :

  Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de 
  l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des 
  opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut 
  donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette 
  liberté dans les cas déterminés par la loi » ; qu'en l'état actuel des moyens
  de communication et eu égard au développement généralisé des services de 
  communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces 
  services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des 
  idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services

4. Les exemples deviennent nombreux de prestataires de service sur Internet qui
s'arrogent le droit de censurer, de manière parfaitement discrétionnaire, des 
propos qu'ils jugent dérangeants, en s'affranchissant de toute décision de 
justice.

On peut citer par exemple le cas d'Apple qui interdit les applications 
présentant des nus, ce qui a par exemple amené l'hebdomadaire Charlie Hebdo à 
renoncer à avoir une application sur iPhone et iPad. Ou bien le livre de Naomi 
Wolf "Vagin : une nouvelle biographie" dont le titre a dû être modifié lors de 
sa mise en ligne par Apple.

On peut également citer le cas du journal en ligne Atlantico, censuré par 
Facebook parce qu'un article était illustré par le tableau de G. Courbet 
"L'origine du monde" 
(http://www.atlantico.fr/decryptage/puritanisme-facebook-suspend-page-atlantico-cause-photo-origine-monde-jugee-pornographique-atlantico-439779.html
), la même oeuvre de Courbet avait déjà posée problème en 2011 (utilisée comme 
photo de son profil par un utilisateur). On peut enfin citer le cas d'une photo
d'actualité, publiée par Le Monde sur sa page et censurée par Facebook 
(http://rezonances.blog.lemonde.fr/2012/12/14/quand-facebook-censure-le-monde-pour-une-photo-dactualite/
).

Ces exemples, loins d'être exhaustifs, tendent à montrer l'apparition et le 
développement d'une forme de justice privée de la liberté d'expression sur 
Internet.

5. Le présent texte vise à pénaliser le fait de porter atteinte à cette liberté
fondamentale en dehors du contexte, normal, d'une décision judiciaire 
contradictoire. Il ne vise pas à étendre ou modifier la définition de la 
liberté d'expression en droit français, mais à rendre cette liberté effective 
et à la protéger.

Texte proposé

Art 1.

Il est inséré dans le Code Pénal, au Livre II, Titre II, Chapitre VI, une 
Section 8 "De l'atteinte à la liberté d'expression" ainsi rédigée:

  Article L 226-33

  Le fait de porter atteinte à la liberté d'expression ou à la liberté 
  d'accéder à l'information, en dehors de l'application d'une décision de 
  justice contradictoire devenue définitive, est puni de 5 ans de prison et de 
  500 000 euros d'amende.

  Lorsque l'atteinte est commise dans le cadre d'une prestation de service, par
  un intermédiaire technique dont l'activité concourt normalement à l'exercice 
  de cette liberté, l'amende est portée à 5 000 000 d'euros.

  Article L 226-34 Les personnes morales déclarées responsables pénalement, 
  dans les conditions prévues par l'article 121-2, des infractions définies à 
  la présente section encourent, outre l'amende suivant les modalités prévues 
  par l'article 131-38 :

  1° L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, 
  d'exercer directement ou indirectement l'activité professionnelle ou sociale 
  dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été 
  commise ;

  2° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions 
  prévues par l'article 131-35.

Arguments^[2[2]]

1. Liberté d'expression à l'américaine

Le texte ne change en rien la définition de la liberté d'expression en France. 
Dès l'article 11 de la DDHC il est prévu des limitations par la loi, et ces 
limitations ne sont pas remises en cause. On est donc très loin de l'approche 
du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis qui interdit au 
législateur d'entraver la liberté d'expression. L'encadrement de la liberté 
d'expression tel qu'il existe en France (négation de crime contre l'humanité, 
propos racistes, haineux ou homophobes, etc) n'est pas modifié.

2. Risque juridique pour les intermédiaires techniques

La qualité d'intermédiaire technique dans la société de l'information apporte 
un certain nombre de garanties, en particulier le fait de ne pas être 
responsable des actes ou des propos des abonnés, mais pour le moment cette 
qualité n'emportait pas de contrainte spécifique.

Il est simplement fait application ici des principes de la Loi pour la 
Confiance dans l'Economie Numérique (LCEN, transposition des directives 
européennes) :

  * irresponsabilité de l'intermédiaire sur les propos tenus par l'abonné ;
  * responsabilité de l'intermédiaire d'assurer un bon transport de ces propos 
    ;

3. Les photos pornos sur Facebook

Dans sa formulation, le texte proposé interdit effectivement à Facebook de 
supprimer automatiquement les contenus jugés pornographiques. Il impose donc, 
de fait, à Facebook de mettre en place un moyen simple d'identifier les 
contenus pour adultes et de réserver ces contenus à ceux de ses utilisateurs 
qui sont majeurs.

L'approche actuelle, qui consiste à déctecter automatiquement certains contenus
pour les supprimer est donc remplacée par une approche qui consiste à 
identifier ces contenus comme étant "réservés à un public averti", comme c'est 
le cas avec la signalétique dans l'audiovisuel.

4. Pourquoi pénaliser étant donné que des recours au civil sont possibles (et 
ont déjà eu lieu) ?

Les recours au civil portent toujours sur d'autres sujets que la liberté 
d'expression (droit à l'image, par exemple), sont le plus souvent hasardeux et 
doivent demontrer un préjudice, le plus souvent financier.

La simple perte de la liberté d'expression, sans autre conséquence pécuniaire 
directe, ne sera pas traitée, en tant que telle, dans le cadre d'une procédure 
civile.

5. Quid de la création d'un droit parallèle ?

La liberté d'expression est protégée par le texte proposé, quelle que soit la 
base technique utilisée. Si le texte est rendu nécessaire dans le droit 
français par l'importance prise par Internet dans le débat public, il est 
également pleinement applicable à la défense de la liberté d'expression dans 
d'autres contextes.

6. Est-ce qu'un tel article de loi ne verrait pas une recrudescence des 
plaintes en diffamation ?

La définition de la diffamation et de l'injure publique ne sont pas modifiés, 
ni les conditions d'application des textes concernés. Donc, ce texte ne devrait
pas en impliquer davantage que ce qui est déjà possible par les dispositions 
actuelles.

Notes

[1[3]] C'est le passage où on expose en général pourquoi il faut faire une loi.

[2[4]] C'est le passage où on essaye de lister les arguments usuels opposés à 
ce type de texte, et en quoi le texte proposé répond aux objections 
habituelles.

Liens:
[1]: http://blog.fdn.fr/?post/2013/02/17/Loi-de-d%C3%A9fense-de-la-libert%C3%A9-d-expression#pnote-65-1 (lien)
[2]: http://blog.fdn.fr/?post/2013/02/17/Loi-de-d%C3%A9fense-de-la-libert%C3%A9-d-expression#pnote-65-2 (lien)
[3]: http://blog.fdn.fr/?post/2013/02/17/Loi-de-d%C3%A9fense-de-la-libert%C3%A9-d-expression#rev-pnote-65-1 (lien)
[4]: http://blog.fdn.fr/?post/2013/02/17/Loi-de-d%C3%A9fense-de-la-libert%C3%A9-d-expression#rev-pnote-65-2 (lien)