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diff --git a/Le_blocage_des_sites_web_attaqu_devant_le_Conseil_dtat.txt b/Le_blocage_des_sites_web_attaqu_devant_le_Conseil_dtat.txt new file mode 100644 index 0000000..059325e --- /dev/null +++ b/Le_blocage_des_sites_web_attaqu_devant_le_Conseil_dtat.txt @@ -0,0 +1,213 @@ +Titre: Le blocage des sites web attaqué devant le Conseil d'État +Auteur: Benjamin Bayart +Date: Wed 15 Apr 2015 20:05:00 +0200 +Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat + +FDN, la Quadrature du Net, et la fédération FDN ont déposé il y a quelques +jours un recours devant le Conseil d'État contre le décret d'application de la +loi anti-terrorisme et de la LOPPSI. Ce décret est celui qui organise le +blocage des sites web sur décision administrative sans passer par la case +justice. + +Nous publions aujourd'hui le texte de notre recours[1]. C'est un document assez +complet, de 48 pages. Parfois un peu rude à lire pour les non-juristes. Les +explications ci-dessous peuvent aider à s'y retrouver. + +La structure du document + +Comme le précédent recours que nous avions publié (celui contre le décret +d'application de l'article 20 de la LPM[2], il est structuré en 4 parties. La +première sur les faits, qui explique quelle décision nous attaquons. La seconde +sur notre intérêt à agir^[1[3]]. La troisième sur les défauts de légalité +externe^[2[4]]. Et la quatrième est celle sur les défauts de légalité interne^[ +3[5]]. + +Cette approche est relativement logique, d'un point de vue de juriste. Mais +elle ne l'est pas forcément pour expliquer le fond du dossier. La même +disposition peut par exemple relever à la fois de la légalité interne et de la +légalité externe. Par exemple, une disposition qui ne relève pas du pouvoir +réglementaire, et donc ne peut apparaître que dans une loi. Il faut une loi +pour la mettre en place. Essayer de la mettre en place dans un décret est une +faute qui relève de la légalité externe (pas la bonne procédure, excès de +pouvoir). Mais cette disposition peut aussi être contraire à un texte de loi +pré-existant. Et ça, c'est une faute de légalité interne. + +Du coup, pour expliquer un peu le contenu du document, on va plutôt se +concentrer sur les dispositions qui ne vont pas, sans forcément bien suivre le +rangement du doc. + +Une pure faute de procédure + +Une circulaire de février 2011 dit qu'il doit y avoir une étude d'impact, et +qu'il faut saisir le commissaire à la simplification^[4[6]] si la nouvelle +disposition réglementaire touche les entreprises, et en particulier les PME. +Comme les 1800 opérateurs déclarés à l'ARCEP sont en majorité des PME, ça +aurait dû être le cas. Et ça ne l'a pas été. + +Pas certain que le Conseil d'État considère que la faute soit très grave, mais +il n'y a pas de doute sur le fait que c'est bien une faute. + +Le décret n'est pas clair + +Plusieurs des dispositions du décret sont rédigées de manières tellement +floues, en particulier sur le sens technique de certaines phrases, qu'il est +virtuellement impossible de dire de manière certaine ce qui sera fait. C'est en +soit un problème, la constitution (et en particulier la Déclaration des droits +de l'Homme de 1789) dit que la loi doit être compréhensible et prévisible. Et +pareil pour les décrets. + +Le Conseil d'État peut sauver le décret en nous répondant en gros meuh non, +c'est clair, regardez, ça veut dire ça, et donc en fournissant la clarification +qu'il juge nécessaire. Ou au contraire dire que le texte n'est pas clair, et le +rejeter. + +Le blocage sans juge + +Cet argument est décliné sous plusieurs formes dans le document, mais il +revient toujours sensiblement au même : nous estimons qu'il est illégal de +bloquer un site web sans la décision d'un juge. + +Tel qu'il est rédigé, le décret dit bien que les sites bloqués sont ceux qui +contreviennent à l'article machin du code pénal. Or seule la justice peut +déclarer que quelqu'un commet une infraction. La police administrative ne peut +que prévenir une infraction. Donc il y a viol de la séparation des pouvoirs (la +police, donc l'exécutif, fait quelque chose que seule la justice, donc le +judiciaire, peut faire). + +Par ailleurs, une mesure de police administrative doit pouvoir être contestée. +Et la jurisprudence européenne nous dit que pour ça, elle doit être notifiée +aux gens visés, et qu'elle doit être motivée. L'administration doit dire +pourquoi elle te prive de liberté, pour que tu puisses aller voir le juge +administratif et expliquer en quoi elle se trompe. Le simple fait de ne pas +motiver, ou de ne pas assez motiver, est en soi contraire au droit européen. Or +la procédure mise en place par le décret n'impose pas cette notification, ni de +motiver la décision. + +Le blocage en lui-même + +Une mesure qui prive de liberté doit être prise pour un objectif d'intérêt +général (sauver les bébés chats, faire cesser un trouble, protéger +l'environnement, etc), doit être nécessaire, c'est-à-dire que sans cette mesure +le trouble continue alors qu'avec le trouble cesse, et doit être proportionnée, +c'est-à-dire qu'il n'y avait pas moyen d'atteindre le même but en privant moins +de liberté. + +Or le blocage des sites web n'est pas efficace (les sites sont toujours +accessibles facilement, via VPN, via Tor, en changeant de DNS, en changeant de +FAI, etc). Donc la mesure qui prive de liberté ne fait pas cesser le trouble. +Raté pour le nécessaire. + +Par ailleurs le blocage d'un site web tel qu'il est prévu a des effets +collatéraux, et donc prive de leur liberté d'expression des gens qui n'ont rien +à voir avec l'histoire, ce qui est un défaut grave de proportionnalité^[5[7]]. + +Ensuite, il existe des mesures efficaces, qui sont moins privatives de liberté +(faire retirer le contenu, faire fermer les sites, etc). Or ces mesures ne sont +pas prévues, alors qu'elles atteignent mieux l'objectif en touchant moins aux +libertés. Là aussi, ça manque de proportionnalité. + +Le problème de la délation + +Le décret indique que les gens qui essayent de consulter le site bloqué sont +re-dirigés vers une page web du ministère de l'intérieur. Ce faisant, la police +reçoit toutes les informations sur les gens qui ont essayé de visiter les +pages. Ça crée, pour les opérateurs, non seulement une obligation de bloquer, +mais aussi une obligation de dénoncer leurs abonnés à la police, en +transmettant des données à caractère personnel dans l'affaire^[6[8]]. + +Cette disposition est particulièrement grave. Et est illégale pour plein de +raisons. + +D'abord, elle ne pourrait être prévue que par la loi. Elle organise le +transfert de données obligatoire entre les opérateurs et la police, ce que +seule la loi peut faire. Elle ne transfère pas que le trafic web, mais tout le +trafic à destination du nom de domaine bloqué, y compris les mails et les +discussions jabber par exemple, et donc organise une interception de +communications privées. Ce que seule la loi peut prévoir. Enfin, ce simple +transfert d'informations est un STAD^[7[9]] au sens de la CNIL. Or seule la loi +peut organiser la création de ce type de fichier de police. Tout ça, c'est de +la légalité externe. + +Par ailleurs, il y a des dispositions légales qui interdisent aux opérateurs de +transmettre à qui que ce soit quelque information que ce soit sur ce que font +les abonnés avec leur accès à Internet. Or le décret, on l'a vu, organise le +transfert d'une partie de ces informations vers la police. Or un décret ne peut +pas dire le contraire d'une loi (légalité interne). + +Un STAD mis en place par les pouvoirs publics doit remplir un certain nombre de +critères définis par la loi de 1978 (informatique et libertés). Or le décret +crée ce STAD sans vraiment le dire, et sans expliquer pourquoi ni comment. +C'est contraire à la loi de 1978, là encore un problème de légalité interne. De +même, un arrêté doit autoriser la mise en place de ce STAD, qui en l’occurrence +n'existe pas. Ça, c'est un défaut de légalité externe. + +Par ailleurs, le transfert des communications au ministère de l'intérieur est +une atteinte aux libertés, des FAI d'une part, et des abonnés d'autre part. +Elle n'est pas nécessaire puisque le même but peut être atteint autrement (les +FAI peuvent afficher eux-même la page d'information, sans faire suivre le tout +à la police). Elle est donc illégale parce que non prévue par la loi (légalité +externe) et parce qu'elle manque de proportionnalité (légalité interne). + +Sur tous ces points-là, le droit lu de manière stricte est très protecteur, et +nous donne raison. Mais le droit est toujours interprétable. La position de la +CNIL sur le fait qu'une adresse IP est une donnée personnelle, voire une donnée +nominative, n'est pas une loi. + +Le Conseil d'État pourrait donc décider de rejeter nos arguments, en expliquant +à chaque fois pourquoi il n'est pas d'accord, en vertu de quel texte il +considère que nous nous trompons, et éventuellement en détaillant +l'interprétation du texte en question. + +Le Conseil d'État peut aussi décider que c'est bien un STAD, que c'est bien une +délation, qu'un décret ne peut pas organiser tout ça sans une loi qui l'y +autorise, et que donc cette disposition doit sauter. + +Ce sera une vraie décision de droit, forcément. Mais pas seulement. Elle +comportera forcément une composante politique, comme la décision de la CJUE +invalidant la conservation systématique des données de connexion. + +Notes + +[1[10]] Il ne suffit pas que l'administration fasse quelque chose d'illégal +pour qu'on puisse le contester, il faut que ça nous porte tort. Oui, le concept +est curieux. En droit administratif, si tu vois un truc illégal fait par +l'administration, si ça ne te porte pas préjudice, tu ne dois rien dire. Ceci +dit, la notion de préjudice peut être entendue assez largement. + +[2[11]] La légalité externe, c'est la forme. Il manque une signature, la +procédure n'a pas été respectée, etc. + +[3[12]] La légalité interne, c'est le fond. Le décret est contraire à une loi, +il prend une disposition contraire à la constitution ou aux textes européens, +il va contre une décision de la CJUE, ce genre de choses. + +[4[13]] Oui, pour simplifier l'administration on a ajouté un commissaire à la +simplification. + +[5[14]] Un peu comme mettre en prison tout un groupe alors qu'un seul est +coupable. + +[6[15]] Au moins l'adresse IP de l'abonné. Ce que la CNIL considère, depuis +toujours, comme une donnée personnelle, puisqu'elle permet de remonter à +l'identité de l'abonné. + +[7[16]] Système de Traitement Automatique de Données, ce que la presse appelle +un fichier. + +Liens: +[1]: http://www.fdn.fr/2015-125/recours.pdf (lien) +[2]: http:/http%3A//blog.fdn.fr/?post/2015/04/01/Publication-du-recours-contre-le-decret-LPM/ (lien) +[3]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-1 (lien) +[4]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-2 (lien) +[5]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-3 (lien) +[6]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-4 (lien) +[7]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-5 (lien) +[8]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-6 (lien) +[9]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#pnote-77-7 (lien) +[10]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-1 (lien) +[11]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-2 (lien) +[12]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-3 (lien) +[13]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-4 (lien) +[14]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-5 (lien) +[15]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-6 (lien) +[16]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat#rev-pnote-77-7 (lien) |