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+++ b/Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt
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+Titre: Filtrer The Pirate Bay : Ubu roi des Internets ?
+Auteur: Benjamin Bayart
+Date: Sun 07 Dec 2014 16:32:00 +0100
+Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets
+
+Les zéyandroa font des gorges chaudes sur le fait qu'ils ont obtenu une
+victoire magnifique, en la forme d'une décision de justice qui impose aux
+opérateurs de filtrer le site de The Pirate Bay en France.
+
+Cette décision, appuyée sur l'article que nous annoncions comme le pire du pire
+du contenu de la loi HADOPI, parfaitement ubuesque, nous semble poser des
+problèmes, tant sur le fond de la motivation de la décision, que sur la forme
+qu'elle va prendre une fois mise en œuvre. Au final, elle nous permet en tant
+que fournisseurs d'accès militants de faire œuvre d'éducation, d'expliquer ce
+qu'est Internet, et comment il fonctionne. C'est peut-être un mal pour un bien.
+
+La justice de père Ubu
+
+Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 4 décembre une décision par
+laquelle il condamne quatre fournisseurs d'accès à Internet à filtrer l'accès
+au site The Pirate Bay. Tout dans cette décision semble marcher sur la tête.
+Essayons de comprendre...
+
+Les ayants droit ne sont pas contents parce que The Pirate Bay contient des
+liens vers des torrents qui permettent de télécharger les œuvres dont ils
+touchent des droits. Ils considèrent que The Pirate Bay est donc un
+contrefacteur, ou au moins un moyen de diffusion de ces contenus
+contrefaisants. Ils veulent donc que The Pirate Bay soit considéré comme un
+site illégal et qu'il soit interdit en France. On peut ne pas être d'accord. On
+peut considérer que The Pirate Bay diffuse des fichiers torrents, et pas des
+contenus protégés par le droit d'auteur. On peut aussi constater qu'ils
+diffusent également des fichiers torrents liés à des contenus tout à fait
+légaux, voire libres de droits. Mais ce n'est pas le sujet du jour.
+
+Le sujet du jour c'est que quand les ayants droit veulent faire interdire une
+activité illégale, ils font un procès... à quelqu'un d'autre. Ce n'est pas que
+les ayants droit soient fous, c'est que nous vivons au temps de la justice de
+père Ubu. En effet, ce que veulent obtenir les ayants droit, c'est que les
+fournisseurs d'accès empêchent l'accès au site de The Pirate Bay. Or pour
+forcer les FAIs à faire quelque chose, il faut les condamner. Pour les
+condamner, il faut qu'ils soient délinquants.
+
+L'affaire qui nous intéresse oppose donc, d'une part, des gens qui défendent
+leurs droits patrimoniaux sur des œuvres, et d'autre part des gens qui ne sont
+pas les délinquants, mais qui vont quand même être condamnés. De manière
+particulièrement amusante, ils seront payés pour mettre en œuvre la décision de
+justice. Ils sont donc condamnés à se faire payer par les ayants droit pour
+mettre en œuvre une décision de justice.
+
+Mais, et le délinquant alors ? Fastoche. Il n'est pas concerné. Pas cité dans
+la procédure. Pas invité à se défendre. On a donc d'une part, des ayants droit
+qui exposent leurs griefs. D'autre part des FAIs qui sont transformés par la
+force de la justice en exécuteurs des sentences. Et personne pour représenter
+les intérêts de l'accusé/condamné, puisqu'il n'est même pas cité au procès.
+Père Ubu inventerait la justice qu'il ne ferait pas mieux. Ou pire, c'est
+selon.
+
+Cette approche du droit pose des questions, en dehors du fait qu'elle est
+ridicule. Par exemple, le site The Pirate Bay n'est pas condamné. Il n'y a pas
+de décision d'un tribunal en France disant que son activité est illégale et
+qu'il doit fermer. Du coup, pour un FAI qui n'est pas condamné à le filtrer, il
+serait totalement illégal de le faire (atteinte au secret des correspondances
+privées, atteinte au droit d'accès à l'information, atteinte aux obligations
+définies par le code des postes et communications électroniques).
+
+On a donc cette situation ubuesque où celui qui est annoncé comme le méchant
+n'est pas condamné, où ceux qui sont condamnés sont en fait les exécuteurs de
+la décision de justice, et où les autres FAIs ont l'obligation de continuer à
+permettre l'accès au site. Et bien entendu, celui qu'on annonce dans toute la
+presse comme délinquant, et dont on essaye d'empêcher l'activité, n'a pas pu se
+défendre.
+
+Le filtrage de père Ubu
+
+Nos quatre amis FAIs sont donc dans l'obligation de filtrer. Ils doivent
+choisir la méthode, rapide, qui ne coûte pas cher, et qui pose le moins de
+problèmes. Il existe trois grandes façons de faire. Soit on bloque le routage
+vers l'adresse IP du site, mais ça a des effets de bord sur le fonctionnement
+du réseau, et on filtre tout autre site partageant les mêmes serveurs. Soit on
+bloque par un filtrage intrusif et une analyse des contenus circulant sur le
+réseau, mais ça coûte une fortune et ça revient à espionner toutes les
+communications du pays. Soit on bidouille les DNS pour qu'ils oublient
+l'existence de ce nom de domaine.
+
+La solution du filtrage par le DNS était déjà celle retenue, en 2011, quand le
+ministre de l'intérieur Claude Guéant faisait filtrer copwatch. C'est également
+la solution que l'actuel ministre de l'Intérieur annonce pour mettre en œuvre
+le filtrage prévu par la toute récente loi sur le terrorisme. Lors des débats à
+l'Assemblée, il était même admis que cette solution soit facile à contourner,
+mais posant moins de problèmes d'atteintes à l'intégrité du réseau.
+
+Cette approche expose un problème de fond. Tous ces braves gens, FAIs, justice,
+ministres et ministères, moines copistes de DVDs, disent qu'ils font filtrer
+par les opérateurs du réseau, alors qu'ils font filtrer par le fournisseur de
+service DNS. Ils sont en train, dans ces décisions de justice, de graver l'idée
+que le résolveur DNS utilisé par l'internaute est, forcément, toujours, celui
+de son FAI. Que le service de résolution DNS est une composante totalement
+centrale du réseau. Ce qui est parfaitement faux.
+
+Ce couplage fort entre l'opérateur du réseau et le fournisseur de DNS est
+exactement aussi faux que celui entre l'opérateur et le fournisseur de mail. Il
+y a 15 ans, les mêmes pensaient qu'il était de toute évidence, et de toute
+éternité, qu'un abonné de Club Internet a une adresse e-mail qui se termine en
+@club-internet.fr. Le fait de graver ce genre d'idioties dans des décisions de
+justice, dans des décrets, dans des lois, c'est suivre la pente savonneuse qui
+rendra illégal le fait d’utiliser un service de résolution DNS autre que celui
+fourni par son opérateur.
+
+Ce serait en effet la conséquence logique. Pour faire fermer un site, au lieu
+de condamner le site, on condamne le FAI. Pour filtrer, il n'utilise pas son
+activité de FAI, mais une activité annexe de fourniture de service de
+résolution de nom. Pour rendre ce filtrage plus solide, il faudrait interdire à
+l'internaute d'utiliser un autre service que celui de son opérateur. Sur le
+principe, c'est contraire à toutes les directives européennes, car c'est rendre
+obligatoire un abus de position dominante, une entrave absolue à la
+concurrence.
+
+Or choisir son service de résolution DNS, c'est choisir la façon dont on voit
+Internet. C'est choisir la racine du système de nommage qu'on utilise. Bien
+qu'étant sur le même Internet que tout le monde, quand on change de DNS, on
+voit le réseau différemment, et pour le moment on le fait par choix. Peu de
+gens utilisent cette faculté, mais elle existe.
+
+Cette décision de justice, ubuesque, si elle devait être un tout petit peu plus
+logique, devrait viser les fournisseurs de service de résolution de nom, pas
+les opérateurs de réseau. L'analyse faite dans le jugement dit que les quatre
+acteurs visés représentent plus de 90% de l'accès à Internet en France. La même
+analyse faite sur la fourniture de service DNS donnerait les noms des mêmes
+acteurs. Mais choisis pour d'autres raisons, finalement plus logiques.
+
+Les limites du système
+
+Il y a des centaines de FAIs en France, des milliers de fournisseurs de service
+de résolution de nom. Pour obtenir un bon résultat, les ayants droit doivent
+donc tous les attaquer en justice, ce qui ferait exploser leurs frais
+d'avocats. Ou alors, ils peuvent rester dans l'à-peu-près. Ils ont visiblement
+choisi pour l'instant de taper dans un "à-peu-près" de 4 opérateurs nationaux,
+représentant « de notoriété publique » (sic) plus de 90% de parts de marché.
+
+De son côté, le ministère de l'intérieur a choisi une solution plus brutale.
+Les sites qu'il fera interdire seront ajoutés à une liste noire des sites à
+filtrer, et tous les opérateurs auront d'un coup l'obligation de filtrer ces
+sites. Quitte à choisir cette approche plus cohérente, on aurait pu aller
+jusqu'à faire un procès aux sites (éditeurs, auteurs, etc) avant de les
+condamner à être mis à l'index. Mais un procès contradictoire qui précède une
+condamnation, c'est passé de mode en France.
+
+Au final, tout ça suppose que les gens qui n'arriveront pas à accéder à un
+contenu ne sauront pas comment contourner la censure. L'exemple récent en
+Turquie, où les adresses des DNS de Google étaient taggées sur les murs pour
+contourner le filtrage de Twitter tend à montrer que nos gouvernants se
+trompent. Les gens qui veulent accéder à un contenu sont d'autant plus disposés
+à faire un effort qu'on essaye de les en empêcher.
+
+La réponse des FAIs associatifs
+
+Nous expliquons depuis longtemps que les gros opérateurs sont trop gros, et que
+ça les rend dangereux. Nous avions raison. Si le marché était fragmenté en de
+nombreux petits opérateurs, de telles solutions idiotes de justice qui marche
+sur la tête n'auraient pas été possibles.
+
+Dans nos associations, nous apprenons à faire fonctionner Internet, donc entre
+autres à faire fonctionner un DNS. Changer le système de résolution de nom de
+domaine, pour nos abonnés, c'est facile à faire. Ce travail de formation, de
+montée en compétence de nos bénévoles, tend à multiplier le nombre de personnes
+capables de comprendre les enjeux politiques et les réalités techniques qui
+sont derrière. Nous avions raison de vouloir répandre les compétences le plus
+largement possible.
+
+La réponse naturelle des fournisseurs d'accès associatifs est de dire que nous
+fournissons des accès à Internet, et que comme nous sommes trop petits pour
+être visés par ces décisions de justice, nos accès ne sont pas filtrés. Chez
+nous, The Pirate Bay fonctionne encore.
+
+Bien entendu, ce n'est pas possible pour tout le monde. Soit que nos services
+soient trop chers, soit qu'ils ne soient pas disponibles chez vous pour des
+raisons techniques^[1[1]]. Pour ces abonnés, nous fournissons des systèmes de
+VPN, qui permettent d'avoir de l'Internet propre et non-filtré à partir d'un
+accès à Internet mal-propre et filtré. Au départ, on avait mis ça en place pour
+aider les dissidents dans les pays totalitaires, mais ça marche aussi pour
+corriger les aberrations du marché et de la politique en France.
+
+Enfin, pour ceux d'entre vous qui ne sont pas assez courageux pour devenir
+adhérent d'un FAI associatif, nos serveurs DNS sont ouverts et acceptent de
+servir les demandes de tout le monde. Oui, comme ceux de Google, sauf que les
+nôtres sont comme ça depuis plus de 20 ans, et qu'on n'avait jamais trouvé
+utile de faire un communiqué de presse sur le sujet.
+
+Du coup, voilà les adresses IP des DNS ouverts de certains des FAIs membres de
+la Fédération FDN, disponibles en IPv4 et en IPv6.
+
+ * FDN : ns0.fdn.org (80.67.169.12 / 2001:910:800::12) |
+ ns1.fdn.org(80.67.169.40 / 2001:910:800::40)
+ * LDN : ns0.ldn-fai.net (80.67.188.188 / 2001:913::8)
+ * ARN : recursif.arn-fai.net (89.234.141.66 / 2a00:5881:8100:1000::3)
+
+Pour apprendre à changer les serveurs DNS que vous utilisez, vous pouvez jeter
+un œil à l'article de Pierre Col[2] publié récemment sur ZDNet, ou à l'article
+de Stéphane Bortzmeyer[3] publié il y a deux ans sur son blog.
+
+Note
+
+[1[4]] On a par exemple des abonné-e-s qui ont la possibilité d'avoir un accès
+fibre chez eux, mais FDN ne peut pas fournir d'accès sur la fibre.
+
+Liens:
+[1]: http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets#pnote-73-1 (lien)
+[2]: http://www.zdnet.fr/actualites/pour-contourner-le-blocage-des-sites-web-il-suffit-de-changer-de-resolveur-dns-39810881.htm (lien)
+[3]: http://www.bortzmeyer.org/changer-dns.html (lien)
+[4]: http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets#rev-pnote-73-1 (lien)