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authorneodarz <neodarz@neodarz.net>2017-03-10 11:58:22 +0100
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@@ -0,0 +1,262 @@
+Titre: L'accompagnement de la révolution numérique: une chance pour la France ?
+Auteur: Laurent Chemla
+Date: Thu 10 Jan 2013 15:40:00 +0100
+Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2013/01/10/L-accompagnement-de-la-r%C3%A9volution-num%C3%A9rique%3A-une-chance-pour-la-France
+
+En vue de la table ronde sur la neutralité du net organisée par Fleur Pellerin
+le 15 janvier 2013, son cabinet m'a proposé de lui faire part de mon point de
+vue. A cette fin j'ai essayé d'éclaircir, autant pour mon usage personnel que
+pour qui voudra, mes idées sur cette notion complexe.
+
+
+La "neutralité du Net" est à la mode. Pourtant, quelle qu'en soit la source, la
+définition de ce concept reste - au mieux - floue: un Internet neutre serait
+"un simple tuyau qui ne discrimine ni ne modifie les données qu'il transporte".
+L'objectif étant à la fois technique (éviter une balkanisation du réseau) et
+politique (garantir un certain nombre de droits à l'internaute).
+
+La neutralité, ça n'existe pas
+
+Pourtant, quel que soit celui de ces deux principes que l'on observe, il faut
+constater qu'il se heurte à la réalité:
+
+ * Tout opérateur (FAI, FSI, université, entreprise...) établit des politiques
+ de routage. En fonction de la source des données, du prix du transit, des
+ usages de ses utilisateurs ou encore de la sécurité de son réseau, le choix
+ du "tuyau" est au coeur du métier d'un opérateur Internet. Le protocole
+ standard utilisé pour informer le reste du réseau de la route à utiliser
+ pour atteindre tel ou tel point (BGP) est conçu justement pour permettre à
+ chacun de définir sa propre politique. Par sa nature même de "réseau des
+ réseaux", Internet est discriminant: on préfèrera souvent, toutes choses
+ étant égales par ailleurs, la route la moins chère à la route la plus
+ courte. De même qu'on préfèrera proposer une donnée stockée localement
+ plutôt que son original - même si ce dernier est plus à jour que sa copie
+ (on pense ici au principe des CDN, mais aussi par exemple à la copie de
+ Wikipedia proposée par Orange à ses utilisateurs).
+
+
+ * Une des causes du succès d'Internet vient de son a-centrisme:
+ l'intelligence réside à ses extrémités plutôt qu'en son centre et tout
+ ordinateur relié à Internet peut devenir un serveur autant qu'un client.
+ C'est ce principe qui a permis une explosion d'innovations et de nouveaux
+ services, l'accès au rang de "serveur" n'étant limité ni par la puissance
+ financière ni par une obligation d'autorisation préalable (comme c'était le
+ cas par exemple du Minitel et de Transpac, réseau centralisé par
+ excellence). Or, depuis l'explosion du marché de l'accès à Internet,
+ l'utilisateur final n'a cessé d'être de plus en plus marginalisé:
+ l'asymétrie des débits d'émission et de réception rend illusoire la mise en
+ place de services débutants à très faible coût, et tend à centraliser
+ l'intelligence là où se trouve déjà la puissance financière, et jusqu'à un
+ point dangereux pour les droits fondamentaux et pour les équilibres
+ financiers. La première des atteintes à l'objectif de neutralité est
+ l'asymétrie des débits.
+
+Internet n'est donc neutre ni du point de vue technique, ni du point de vue
+politique. Il ne l'a jamais été.
+
+Vrais problèmes et fausses réponses
+
+Ce constat étant posé, l'objectif de neutralité n'en reste pas moins important.
+L'évolution actuelle crée une dérive dont nous avons des exemples presque
+quotidiens: développement à outrance de quelques multinationales dont la
+toute-puissance devient dangereuse tant pour les libertés fondamentales que
+pour les économies nationales (Google, Facebook, Amazon et Apple),
+transformation de l'utilisateur final en simple client soumis aux choix de son
+opérateur (voir l'exemple très récent du filtrage de la publicité par Free),
+innovation artificiellement limitée ("éditorialisation" des logiciels
+disponibles sur l'appstore d'Apple, filtrage des protocoles concurrents en
+VoIP), politique commerciale opaque (tarifs de roaming IP abusifs, lutte
+Google/Free sur le peering payant qui pénalise les utilisateurs, ralentissement
+de la 3G en fonction du volume consommé)...
+
+Force est de constater que le marché seul semble désormais incapable de
+garantir les libertés minimales du citoyen numérique. Pour autant - et les
+exemples récents des Pays-bas et de la Slovénie le montrent bien - une
+législation qui ne serait basée que sur la seule affirmation du principe de
+neutralité, toute symbolique qu'elle soit, n'aurait que peu d'effets: forcément
+très technique, autorisant les atteintes à la neutralité "pour les besoins du
+service" en fonction des technologies existantes (en ignorant celles de
+demain), elle limiterait l'innovation en sanctuarisant la structure présente
+(et fort peu neutre) du réseau tout en ignorant les causes réelles des
+différents problèmes qu'on a enterrés sous ce dogme unique de "neutralité".
+
+Internet pourrait être "légalement" neutre tout en étant plus rien qu'une
+couche de transport entre des "appstores" centralisés, relevant d'une fiscalité
+privilégiée et soumis à une censure commerciale, d'une part, et des terminaux
+(mobiles ou non) aux fonctionnalités limitées et sous le contrôle total de leur
+distributeur d'autre part. Si on se limite à ce seul principe en oubliant les
+problèmes sous-jacents, on ne résoud absolument rien.
+
+Que cherche-t-on exactement ?
+
+Qui doit payer l'infrastructure de coeur de réseau ?
+
+Dans une économie toujours plus centralisée, dont les revenus partent vers des
+services de moins en moins respectueux de la vie privée, au détriment tant de
+l'utilisateur final que des intermédiaires techniques qui la mettent en place,
+le principe historique qui voulait que ce soit celui qui voulait accèder au
+contenu qui devait financer la liaison est fortement remis en cause. Du fait de
+l'asymétrie des débits, l'utilisateur a tout intérêt à placer les données
+auxquelles il veut avoir accès rapidement "dans le cloud": que ce soit ses
+vidéos, sa musique ou ses billets de blog, la délocalisation des données de
+l'utilisateur impliquera d'avoir toujours plus de centralisation et toujours
+moins de contrôle tout en payant toujours d'avantage pour des "tuyaux" de moins
+en moins publics (puisque ne desservant plus que quelques services "géants du
+net").
+
+Au delà du contrôle des autorités de la concurrence et des télécommunications,
+la seule réponse pérenne à cette question ne pourra venir que d'un
+rééquilibrage du flux des données. Or il se trouve que la technologie le
+permet: la fibre optique (dans sa version FTTH seulement) permet d'obtenir des
+débits montants et descendants équivalents, et de très grande capacité.
+
+En créant une infrastructure nationale à très haut débit, on verra de plus en
+plus de services se créer, sur l'entièreté du territoire national, en
+périphérie du réseau plutôt qu'en son coeur. Un utilisateur pourra ainsi
+choisir de conserver ses données à domicile sans limiter la capacité d'y
+accèder de n'importe où. Les nouveaux services qui pourront ainsi voir le jour
+créeraient - pour les opérateurs - une attractivité nouvelle qui leur
+permettraient de retrouver des marges de négociation pour le financement des
+liaisons de coeur de réseau (les contenus auto-hébergés créant une demande
+montante plutôt qu'uniquement descendante).
+
+Ce type d'infrastructure, au delà du seul aspect de l'aménagement du
+territoire, aurait une influence plus que conséquente tant sur l'économie
+nationale (la possibilité retrouvée de créer des services débutants pour un
+coût initial quasi-nul donnerait un véritable coup de fouet à la croissance
+numérique) que sur les questions de vie privée et de contrôle de l'information.
+Il limiterait l'exil des données et mettrait un coup de frein au développement
+démesuré d'une poignée de géants supranationaux tout en favorisant le retour à
+un contrôle personnalisé des données privées.
+
+On notera pour le principe que des lois comme DADVSI ou HADOPI, qui ont
+favorisé quelques services de streaming centralisés au détriment du partage
+décentralisé en peer-to-peer, ont eu une influence exactement opposée à ce
+cercle vertueux sans pour autant rapporter quoi que ce soit à ceux qu'elles
+voulaient protéger.
+
+Comment garantir l'accès à l'information et à la liberté de communication ?
+1/ Des lois basées sur des principes plutôt que sur des technologies
+
+Bien que les plus hautes instances (Conseil Constitutionnel, Conseil de
+l'Europe) aient rappelé que les principes de liberté d'expression et de libre
+circulation de l'information étaient des droits fondamentaux, on ne peut que
+constater qu'ils sont très mal protégés par notre droit national.
+
+La liberté d'expression - quoique garantie par la constitution - ne relève pas
+du droit de la personne: l'atteinte à ce droit n'est réprimée que par l'article
+CP 431-1 et relève des crimes et délits contre la nation. L'usage de ce texte,
+pour un simple particulier dont l'expression aurait été censurée par un
+intermédiaire technique en dehors d'une décision judiciaire, n'est pas aisé (et
+à ma connaissance il n'existe aucun cas où un juge aurait été saisi d'un tel
+cas, alors que les exemples abondent). Or la réaffirmation de ce droit - par
+exemple en en traitant au sein du livre II du code pénal - serait un symbole
+fort: aujourd'hui il suffit de menacer un intermédiaire (sous prétexte de
+diffamation ou d'atteinte au droit d'auteur par exemple, quand il ne s'agit pas
+tout simplement d'une décision "éditoriale" du service commercial d'un monopole
+comme Apple aujourd'hui sur son AppStore ou Microsoft demain sur le sien) pour
+faire taire quelqu'un sans aucun risque ni pour le demandeur ni pour
+l'intermédiaire.
+
+Alors qu'Internet permet - pour la première fois dans l'histoire - la liberté
+d'expression pour tous, aucun texte législatif n'en a pris la mesure en
+permettant un accès simple à la justice pour le simple citoyen qui aurait vu ce
+droit bafoué. Pourtant, une telle mesure permettrait de rétablir un peu
+l'équilibre des pouvoirs entre les grandes entreprises et le particulier. Elle
+redonnerait à elle seule un peu de sens à la notion de neutralité en évitant
+que celle-ci ne soit au final qu'à l'unique bénéfice des plus puissants, en
+réaffirmant un grand principe plutôt qu'en ne traitant que d'un symptome
+technique ponctuel.
+2/ Sortir de solutions inadaptées pour aller vers l'égalité des citoyens
+
+Pour aller plus loin, enfin, en reconnaissant que l'évolution technique a
+transformé radicalement le paysage de la communication, que penser d'une
+législation qui traite des droits et des devoirs de tout un chacun à
+l'intérieur d'une loi dont l'objet n'était que de traiter d'une profession
+particulière (celle de la Presse) ? Pour quelle raison (par exemple) le secret
+des sources de celui qui exerce la profession de journaliste serait plus
+important que celui du simple blogueur qui voudrait dénoncer un scandale local,
+alors même que leur responsabilité serait la même en cas de diffamation
+(pourtant réprimée au sein du même texte de loi) ?
+
+De même, vouloir que le simple citoyen relève du droit de l'audiovisuel (et
+pourquoi pas de l'autorité du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) lorsqu'il use
+de son droit fondamental à la liberté d'expression n'a guère de sens dans le
+cadre d'une communication ouverte à tous: devenu un media audiovisuel à part
+entière, Twitter - par exemple - devrait-il faire respecter la parité des temps
+de parole en période électorale ? L'inadaptation du droit de la communication -
+dispersé de surcroit dans des textes multiples et parfois même contradictoires
+- est patente. Le Conseil d'État, dans un rapport datant de 2006, a présenté
+l'inventaire complet des éléments relevant de la communication: il serait temps
+de reprendre enfin ce travail fondamental.
+
+Ici encore, c'est tout le sens du mot "neutralité" qui reprendrait son
+importance si aucune discrimation n'existait entre l'expression du simple
+citoyen et celle de celui qui en fait profession. La réintégration du droit de
+la communication au sein du droit commun est sans doute un chantier
+d'envergure, mais au delà de la simplification et de la prise en compte de la
+convergence numérique c'est aussi l'occasion de réaffirmer des grands principes
+et de rétablir les équilibres que sous-tend la notion de "neutralité du net",
+bien au delà du seul symbole.
+3/ Développer un plan ambitieux plutôt que des rustines légales
+
+Comment garantir qu'un intermédiaire n'usera pas de DPI pour filtrer ses
+concurrents sous prétexte de fluidification de son réseau, comment favoriser
+l'émergence - très couteuse - d'une infrastructure nationale en FTTH, comment
+protéger l'expression du simple citoyen face à des intermédiaires qui n'ont
+d'autre objectif que celui du résultat financier ?
+
+La fiscalité du numérique est encore balbutiante, et les différents chantiers
+ouverts sur ce sujet sont loin de répondre à toutes les questions. De
+nombreuses pistes ont été avançées (taxe sur la publicité en ligne, taxe sur
+l'utilisation des données personnelles...) sans faire encore l'objet de
+proposition concrète. En parallèle, les fournisseurs d'accès, du fait de leurs
+offres "multiplay", font l'objet de taxes toujours plus nombreuses (COSIP,
+rémunération pour copie privée, mais bientôt peut-être taxe pour financer la
+Presse, la culture ou - un jour peut-être - licence globale).
+
+Le Conseil Constitutionnel ayant inscrit la liberté d'accès à Internet au
+nombre des droits fondamentaux, pourquoi ne pas proposer aux opérateur la
+participation à un service public de la fourniture d'accès, reposant sur le
+respect d'un cahier des charges à minima, défini par une règlementation claire
+et imposant - en échange pourquoi pas d'une fiscalité moindre et de garanties
+de stabilité sur le long terme - un calendrier de déploiement de la technologie
+FTTH réaliste mais ambitieux ?
+
+Les opérateurs qui choisiraient de relever d'un tel statut seraient du même
+coup protégés par la loi contre toute mise en cause sur les contenus
+transportés (puisque relevant de leur mission de service public), loi qui leur
+imposerait une totale neutralité de ces contenus, sans aucune intervention de
+leur part sous peine de perdre les droits afférents au statut de "fournisseur
+de liberté de communication". Le cahier des charges pourrait, de même, imposer
+la création de forfaits d'accès à Internet "nus" - hors triple ou
+quadruple-play, prévoir des tarifs sociaux pour les moins privilégiés, et
+imposer la possibilité pour l'utilisateur de choisir d'avoir un débit
+symétrique en SDSL plutôt que le seul ADSL, en attendant la fibre optique pour
+tous (à ma connaissance seul OVH le propose à ce jour, mais rien n'empêche
+techniquement le développement d'une offre de ce type, voir même d'un ADSL
+"inverse" - si la technologie le permet - et qui offrirait la possibilité de
+préférer l'émission de données à la réception). Ce cahier des charges pourrait
+être revu à chaque fois que nécessaire par décrêt, et suivrait ainsi
+l'évolution des techniques bien plus efficacement que des lois trop focalisées
+sur un état des lieux ponctuel.
+
+En établissant - comme celà semble normal - la charge des taxes concernant la
+création sur les diffuseurs (télévisions, mais aussi services en ligne de
+diffusion: Youtube, Dailymotion, Apple...) plutôt que sur le fournisseur de
+l'accès à Internet (qui n'y gagne que de façon très indirecte des parts d'un
+marché forcément limité par la population du pays, alors que le diffuseur peut
+augmenter son marché publicitaire sans limitation de frontières), l'État n'y
+perdrait rien mais rendrait aux opérateurs choisissant de relever d'un tel
+statut des marges de manoeuvres financières conséquentes (la seule TST
+représentait plus de 630 millions d'euros en 2011), tout en les incitant à se
+recentrer sur leur coeur de métier et en leur permettant d'investir plus
+rapidement dans le déploiement d'une infrastructure dans laquelle tous seraient
+gagnants: le citoyen verrait ses libertés garanties, le territoire serait plus
+équitablement aménagé, l'économie nationale y gagnerait une multitude de
+possibilité de créations d'entreprises, et le futur d'un Internet décentralisé
+serait beaucoup moins menacé qu'aujourd'hui.
+
+Il est temps que la France prenne enfin la mesure de l'enjeu qu'est cette
+troisième révolution industrielle en lançant enfin un grand plan de
+développement du numérique.