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authorneodarz <neodarz@neodarz.net>2017-03-10 11:58:22 +0100
committerneodarz <neodarz@neodarz.net>2017-03-10 11:58:22 +0100
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+++ b/Fichier_TES_danger_pour_les_liberts_.txt
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+Titre: Fichier TES, danger pour les libertés !
+Auteur: neurone130
+Date: Mon 14 Nov 2016 15:25:16 +0100
+Lien: https://www.laquadrature.net/fr/oln-fichier-tes-danger-pour-libertes
+
+Paris, 14 novembre 2016 — Le décret TES publié par le gouvernement, comme par
+effraction, le 28 octobre dernier trahit les principes démocratiques tant sur
+la forme (la manière dont il a été élaboré et publié) que sur le fond (la
+création d'un fichier centralisant les données d'identité, de filiation et de
+biométrie de l'ensemble des Français).
+
+Communiqué commun de l'Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN)1[1]
+
+La légalité du décret est assise sur un ensemble législatif ancien, porteur, en
+lui-même, des dangers que ce fichier TES met brutalement en lumière
+aujourd'hui. L'article 27 de la loi dite « informatique et libertés » de 1978
+laisse au gouvernement la faculté d'instituer, par un simple décret, tous
+traitements de données à caractère personnel pour le compte de l'État, ou
+touchant à la sécurité nationale. Pire, depuis 2004, les données biométriques
+sont soumises au même régime, au mépris de leur sensibilité extrême. De cette
+honteuse manœuvre, notre démocratie devrait tirer toutes conséquences :
+l'absence de contrôle parlementaire sur la création de fichiers concernant les
+individus par l'exécutif doit être combattue.
+
+La CNIL, dont il faut rappeler qu'elle doit sa création précisément à la
+protestation (virulente) de nombreux citoyens contre la création d'un fichier
+similaire au fichier TES en 1974, le fichier SAFARI, a obtenu le pouvoir et le
+devoir de rendre des avis motivés sur les décisions de créations de fichiers de
+données à caractère personnel mis en œuvre notamment par l'État. Or, la
+capacité de la CNIL à freiner, voire contrer les projets étatiques de fichage
+s'est trouvée encore entamée par la réduction de son pouvoir d'avis conforme à
+un inoffensif avis préalable, mais non contraignant, par la loi du 6 août 2004.
+
+Le tour de passe-passe est ici flagrant : le gouvernement s'appuie sur la loi
+même qu'il avait combattue lorsqu'il était dans l'opposition : la loi du 27
+mars 2012 relative à la protection de l’identité, largement censurée par le
+Conseil constitutionnel. Autrement dit, sur le plan de la procédure de création
+d'un fichier aussi important que le fichier TES, qui rassemble l'ensemble des
+informations d'état civil, de filiation, la photo d'identité, le domicile,
+éventuellement le courriel, mais également la couleur des yeux ou les
+empreintes digitales, le gouvernement ne souffre aucun contre-pouvoir. En
+procédant par décret il s’affranchit d’une délibération démocratique au
+parlement et l'approbation pleine et entière de la CNIL n'étant pas requise, il
+va même jusqu’à en nier les critiques essentielles !
+
+Outre ces problèmes structurels dans le processus de création d'un fichier, la
+prévision d'une dérive de ce nouveau fichier gigantesque ne relève pas du pur
+fantasme. Elle découle de l'observation méthodique des mutations connues des
+fichiers précédemment constitués, notamment à des fins policières. Entre
+l'origine d'un fichier et son utilisation ultérieure, il y a systématiquement
+des dérives : changement de finalité, érosion progressive du contrôle,
+modification du champ d'application ou de l'étendue des accès à ce fichier...
+Même suite à des condamnations, y compris par la Cour Européenne des Droits de
+l'Homme, les fichiers ne sont pas, ou peu et tardivement corrigés. La France a
+été condamnée en 2013 par la CEDH pour le FAED (Fichier Automatisé des
+Empreintes Digitales) au motif que « La conservation des empreintes digitales
+par ce fichier s’analyse en une atteinte disproportionnée, ne peut passer pour
+nécessaire dans une société démocratique, et ne traduit pas un juste équilibre
+entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ». Pourtant ce fichier
+n’a été corrigé à la marge que deux ans après l'arrêt de la CEDH. Quant au
+FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques) créé pour ficher
+les auteurs d'infractions sexuelles condamnés par la justice, il est passé en
+15 ans d'un fichier sous contrôle judiciaire et limité à un fichier policier
+recueillant l'ADN de toutes les personnes simplement suspectes dans les
+enquêtes pour les délits les moins graves, même sans condamnation et dont le
+refus de prélèvement est susceptible de constituer un délit.
+
+C'est ainsi que l'exclusion annoncée de l'utilisation du fichier TES à des fins
+d'identification et de comparaison (pour les données biométriques et les
+empreintes digitales) ne suffit pas à le rendre légitime. D'abord parce que des
+accès privilégiés sont d'ores et déjà autorisés pour certains services de
+police et du renseignement. Ensuite parce qu'aucune limitation n'est imposée en
+matière de réquisitions judiciaires : il est alors à craindre que le fichier
+TES devienne pour la justice, quel que soit le motif de l'enquête, une réserve
+d'empreintes et de photographies bien plus massive que le FAED et le TAJ
+(Traitement des Antécédents Judiciaires), faisant de tout citoyen un suspect en
+puissance.
+
+Ces questions sur le formalisme, les conditions d'élaboration et le contrôle
+juridique du fichier TES ne sont cependant pas les seules sources d'inquiétude
+de l'Observatoire des Libertés et du Numérique, tout comme de très nombreuses
+voix qui se sont élevées depuis deux semaines sur le sujet. Les interrogations
+sur la sécurité du fichier, sur les choix techniques qui ont été faits et donc
+sur les garanties d'intégrité qui sont données par le gouvernement sont
+également nombreuses, étayées et suffisamment graves pour demander une
+annulation du décret.
+
+Le choix de la centralisation du fichier est un choix dangereux : il expose un
+ensemble massif et précieux de données personnelles à la portée de puissances
+hostiles ou de criminels expérimentés. Les promesses réitérées de chiffrement
+robuste et de sécurisation avancée faites par le ministre de l'Intérieur seront
+évidemment invérifiables, et pourront difficilement compenser l'absence de
+résilience qu'aurait apportée une décentralisation du fichier, soit au niveau
+du porteur individuel de titre d'identité, soit au niveau des différentes
+composantes du fichier. Choisir la centralisation des données d'identification
+de l'ensemble des Français c'est choisir d'être une cible très alléchante,
+comme l'ont montré les attaques subies par des bases de données israéliennes,
+turques ou philippines. La question n'est donc pas : TES sera-t-il attaqué,
+mais : quand le sera-t-il ?
+
+Les modalités de destruction des données à la fin du délai de conservation
+n'ont pas été détaillées dans le décret ou ailleurs. Pourtant, la question de
+l'effacement est cruciale, notamment en ce qui concerne les données
+biométriques, puisque ces données sont inaliénables de l'identité de
+l'individu. Il n'est donc pas possible pour l'individu de changer ces données.
+
+Le choix de conserver les données biométriques sous forme brute dans le fichier
+plutôt que de stocker uniquement des gabarits permettant l'identification
+voulue, sans exposer davantage l'intimité des millions de personnes concernées,
+est à nouveau un choix surprenant et inquiétant. Il laisse la porte ouverte à
+des falsifications en cas de vol de données, et à des évolutions futures sur
+les identifications biométriques possibles. Il est nécessaire de rappeler que
+cette année, des propositions de loi tendant à coupler vidéosurveillance et
+reconnaissance faciale ont été déposées au Parlement français, sans soulever de
+la part du gouvernement de condamnation claire et immédiate. Il y a tout à
+craindre d'une évolution future de l'utilisation de ce fichier global de la
+population française. Et que dire de la marge d'erreur de 3% dans
+l'identification, qui est porteuse de nombreuses dérives si l'on considère ce
+fichier comme l'alpha et l'oméga de l'identification des individus ? Les droits
+d'accès et de rectification n'auront pas d'impact s'agissant des données les
+plus sensibles.
+
+Les informations publiées dans la presse sur les raisons de création du fichier
+TES (supprimer des postes de fonctionnaires et rationaliser la délivrance des
+titres d'identité) interrogent sur la responsabilité de l'administration et de
+la technocratie dans l'érosion des libertés et l'évitement du processus
+parlementaire et démocratique. L'utilité pratique ou la centralisation des
+informations ne peuvent être des arguments pour justifier la création de
+fichiers sensibles et d'ampleur nationale tels que le fichier TES, sous peine
+de soumettre à l'administration les valeurs fondamentales que nous défendons.
+
+Au-delà des considérations juridiques et techniques, il convient enfin de
+reconsidérer le rapport que nous avons avec l'identification des individus,
+dans une perspective de défense du droit au respect de la vie privée. Si la
+volonté d'empêcher techniquement toute falsification peut sembler légitime,
+l'histoire nous rappelle combien la capacité à résister à des dérives
+autoritaires passe par la faculté d'échapper au contrôle étatique, notamment
+sur son identité. Les fichiers centralisés ne font pas les régimes
+autoritaires, mais tout régime autoritaire s'appuie sur un fichage de sa
+population. L'ajout de nombreux marqueurs biométriques aux éléments de
+filiation ou d'état civil renforce l'attachement de l'individu, par son corps,
+à l'État. Nul ne peut exclure des usages liberticides d'un tel fichier à
+l'avenir, et toute évolution vers plus d'identification devrait être discutée
+démocratiquement dans cette perspective.
+
+L'Observatoire des libertés et du numérique se joint aux voix qui réclament
+l'abrogation du décret TES.
+
+ * 1.[2] L'Observatoire des Libertés et du Numérique regroupe le Syndicat de
+ la magistrature, le Syndicat des Avocats de France, la Ligue des droits de
+ l'Homme, La Quadrature du Net, le Cecil et le Creis-Terminal.
+
+
+Liens:
+[1]: https://www.laquadrature.net/fr/rss.xml#footnote1_fam29w7 (lien)
+[2]: https://www.laquadrature.net/fr/rss.xml#footnoteref1_fam29w7 (lien)