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diff --git a/Dpt_dune_question_prioritaire_de_constitutionnalit_sur_larticle_20_de_la_LPM.txt b/Dpt_dune_question_prioritaire_de_constitutionnalit_sur_larticle_20_de_la_LPM.txt new file mode 100644 index 0000000..0a941bb --- /dev/null +++ b/Dpt_dune_question_prioritaire_de_constitutionnalit_sur_larticle_20_de_la_LPM.txt @@ -0,0 +1,179 @@ +Titre: Dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité sur l'article 20 de la LPM +Auteur: Benjamin Bayart +Date: Wed 15 Apr 2015 22:28:00 +0200 +Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM + +Pendant les discussions parlementaires sur la loi de programmation militaire +(LPM) quelques trop rares députés indiquaient que l'accès aux données de +connexion organisé par l'article 20 était trop large, mal construit, mal +formulé, et probablement anti-constitutionnel. Mais il ne s'est pas trouvé 60 +braves parmi nos parlementaires (députés ou sénateurs) pour poser le texte sur +le bureau du Conseil Constitutionnel. + +Nous avions annoncé que ça ne nous allait pas. Nous étant FDN, bien sur, mais +plus largement les défenseurs des libertés numériques et de la vie privée sur +Internet. Nous, FDN, la Quadrature du Net et la Fédération FDN, avons déjà +déposé un recours contre le décret d'application de cet article 20 de la LPM. +Dans le cadre de cette procédure contre le décret, nous déposons une QPC contre +la loi elle-même. C'est le texte de cette QPC[1] que nous publions ici, avec le +mémoire complémentaire[2] déposé en même temps devant le Conseil d'État. + +Si les parlementaires et le gouvernement refusent de faire le contrôle de +constitutionnalité de leur texte, les citoyens le feront. + +Ce que c'est qu'une QPC + +Dans une affaire en justice, n'importe quelle affaire, si on estime que la loi +applicable à l'affaire est contraire à la Constitution, on peut déposer devant +le juge une question prioritaire de constitutionnalité, dite QPC. En gros, on +dit au juge cette loi est contraire à la Constitution, on ne devrait pas me +l'appliquer, merci de vérifier. Si le Conseil constitutionnel n'est pas encore +prononcé sur la loi, ou si le contexte du droit a changé depuis, que la +question est sérieuse, alors elle est transmise au Conseil constitutionnel qui +a trois mois pour trancher. Elle est dite prioritaire parce qu'elle doit être +tranchée avant que le tribunal ne puisse statuer sur l'affaire. + +Dans notre cas, nous attaquons le décret 2014-1576 (c'est raconté ici[3] et là[4] +). Ce décret est pris en application de l'article 20 de la LPM. Si l'article 20 +est déclaré contraire à la constitution, alors le décret disparaît. Nous +pouvons donc contester cet article 20 sur sa conformité à la Constitution. + +La procédure + +Comme indiqué dans un billet précédent[4], nos trois associations^[1[5]] sont +désormais représentées par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de +Cassation, à savoir le cabinet Spinosi&Sureau. + +Comme ils maîtrisent mieux que nous les subtilités de la procédure devant le +Conseil constitutionnel, et que ces derniers temps on planchait sur le décret +sur le blocage des sites web, comme annoncé ici[6] il y a peu, c'est notre +avocat qui a préparé cette QPC, ainsi qu'un mémoire complémentaire, ajoutant +les arguments de constitutionnalité aux arguments que nous soulevions déjà +contre le décret dans notre requête introductive publiée récemment[4]. + +Le Conseil d'État décidera dans quelques semaines s'il considère que la +question doit être transmise au Conseil Constitutionnel, ce qui est probable +(la question est bien nouvelle, le Conseil constitutionnel ne s'est pas +prononcé sur cette loi, les arguments sont solides). Ensuite, si la question +est bien transmise le Conseil constitutionnel aura trois mois pour décider. + +Les arguments que nous soulevons + +Le texte de la QPC est assez aride. C'est écrit par des professionnels du +droit, pour des professionnels du droit. Pour aider un peu à la compréhension +pour les gens qui n'ont pas l'habitude, j'essaye de reprendre ici les arguments +principaux. Ça devrait aider à avaler les 53 pages de la QPC. + +Le texte détaille longuement en quoi chacune des libertés que nous défendons +(vie privée, secrets professionnels, secret des sources, etc) relève des +libertés protégées par la Constitution, sur quelles jurisprudences nous nous +appuyons pour le dire, et en quoi le législateur a négligé d'en parler alors +qu'il aurait dû. + +Problème sur la vie privée + +La loi organise la transmission de données à l'autorité administrative, ce qui +est une atteinte à la vie privée. Or il manque des garanties légales +nécessaires sur le respect de la vie privée, en particulier dans un certain +nombre de cas où il existe des secrets protégés, comme le secret des échanges +entre avocats et clients. Les données transmises à l'administration sont +susceptibles de contenir des informations de ce type-là, qui sont très +protégées, et la loi n'assure pas de garantie spécifique dans ce sens. + +L'exemple des échanges entre avocats et clients est important parce qu'il est +couvert par un bon nombre de décisions précédentes, tant du Conseil +constitutionnel que des cours européennes. Le législateur aurait du préciser +quelles garanties protègent ce secret, et ne l'a pas fait. C'est ce qu'on +appelle une incompétence négative: la constitution dit que la loi doit préciser +un certain nombre de choses, si le législateur oublie de le faire, la loi n'est +pas valide. + +Problème sur la liberté d'expression + +En transmettant des données à la police, les opérateurs sont susceptibles de +révéler, si l'une des personnes est un journaliste, avec qui ce journaliste a +échangé. Et donc potentiellement qui sont ses sources. C'est le cœur de +l'affaire dite des fadettes du Monde^[2[7]]. + +La liberté d'expression est strictement protégée par la Constitution et par +toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le pluralisme des médias et +leur indépendance font même l'objet d'un alinéa spécifique dans l'article 34 de +la Constitution. Le législateur aurait dû prévoir un encadrement spécifique +quand la ou les personnes concernées sont des journalistes. + +Par ailleurs, il commence à apparaître une jurisprudence en Europe sur le fait +que ce ne sont pas les sources des journalistes qui doivent être protégées, +mais bien les source de toute personne qui contribue directement à la collecte, +la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un +média, au profit du public. Cette formulation exacte est celle qu'a retenu la +Cour d'arbitrage belge^[3[8]], considérant que journaliste n'était pas +suffisant, lorsque lui a été soumis la loi belge organisant le secret des +sources. + +Flou de la définition de informations et documents + +La loi dit que les opérateurs doivent transmettre à la police administrative +toutes informations et documents en leur possession ou traités par leurs +réseaux. Cette formulation est floue. Pour un opérateur de téléphonie de 1960, +ça ne peut désigner que les données sur le trafic : les documents sont les +factures en papier. Pour un opérateur du 21e siècle, c'est très flou. Est-ce +que ce sont les factures détaillées ? Est-ce que ce sont les contenus des mails +dans la boîte mail ? Est-ce que c'est le contenu des MMS en attente ? Tout +cela, ce sont des informations et documents qui sont stockés sur les +infrastructures de opérateurs. + +C'est le décret d'application, celui que nous attaquons, qui précise ce que +sont ces informations et documents. Une modification du décret pourrait +modifier la définition des informations et documents. Donc une simple +modification d'un décret peut transformer un accès aux données de connexion +(date et heure de mes connexions à Internet, adresse IP attribuée, etc) et un +accès aux correspondances privées (contenu de ma boite mail, etc). Or seule la +loi doit avoir ce type de pouvoir, d'après la Constitution. C'est un cas +classique d'incompétence négative d'une part (le législateur néglige son +devoir) et d'excès de pouvoir d'autre part (l'exécutif met dans un décret un +truc pour lequel il faut une loi). + +Flou sur la définition de sur sollicitation du réseau + +On retrouve exactement le même problème, sauf qu'en plus, même en téléphonie +des années 60, l'expression sur sollicitation du réseau ne veut rien dire. + +En fait, cette expression ne veut tellement rien dire qu'il est difficile de +trouver ne serait-ce qu'un exemple de signification... Le réseau, il se lève le +matin et il téléphone à la police pour lui dire un truc ? Mais quoi... Un truc +en particulier, que la police lui avait demandé avant ? Pas clair. Sur une +personne en particulier, ou sur tout le monde, pas clair. + +En conclusion + +Le message que nous voulons faire passer ici est simple. Désormais, quand nos +politiques s'en prendront aux libertés sur Internet, d'une manière qui est +probablement contraire à la Constitution et à la garantie des libertés qu'elle +prévoit, la société civile se donnera les moyens de saisir le juge +constitutionnel. + +Notes + +[1[9]] Oui, il faut suivre, nous sommes trois associations à attaquer ce décret +devant le Conseil d'État : FDN, La Quadrature du Net, et la Fédération FDN. + +[2[10]] Un journaliste qui enquêtait sur l'affaire Bettencourt a eu le malheur +de déplaire au pouvoir en place. Qui a demandé à la police administrative de +lui trouver le nom des sources. Ce qui a été fait en consultant les factures +détaillées (les fadettes) du journaliste, pour avoir la liste de ses échanges +téléphoniques. + +[3[11]] L'équivalent chez nos camarades du Conseil constitutionnel + +Liens: +[1]: http://www.fdn.fr/2014-1576/qpc.pdf (lien) +[2]: http://www.fdn.fr/2014-1576/complement1.pdf (lien) +[3]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/02/18/Recours-contre-le-decret-2014-1576 (lien) +[4]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/01/Publication-du-recours-contre-le-decret-LPM (lien) +[5]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM#pnote-78-1 (lien) +[6]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Le-blocage-des-sites-web-attaque-devant-le-Conseil-d-Etat (lien) +[7]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM#pnote-78-2 (lien) +[8]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM#pnote-78-3 (lien) +[9]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM#rev-pnote-78-1 (lien) +[10]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM#rev-pnote-78-2 (lien) +[11]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/04/15/Depot-d-une-QPC-sur-l-article-20-de-la-LPM#rev-pnote-78-3 (lien) |