From bc1d70343807104ccf64b6bde9b2db54270203ff Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: neodarz Date: Fri, 10 Mar 2017 11:58:22 +0100 Subject: Initiale release --- La_vie_prive_pas_durgence.txt | 169 ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ 1 file changed, 169 insertions(+) create mode 100644 La_vie_prive_pas_durgence.txt (limited to 'La_vie_prive_pas_durgence.txt') diff --git a/La_vie_prive_pas_durgence.txt b/La_vie_prive_pas_durgence.txt new file mode 100644 index 0000000..12dedd7 --- /dev/null +++ b/La_vie_prive_pas_durgence.txt @@ -0,0 +1,169 @@ +Titre: La vie privée, pas d'urgence +Auteur: Benjamin Bayart +Date: Thu 10 Sep 2015 13:02:00 +0200 +Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence + +Le Conseil d'État a rejeté, par une ordonnance de tri, le recours en référé que +FDN, La Quadrature, et la Fédération FDN avaient déposé contre le décret secret +de 2008 organisant la surveillance des communications internationales, que nous +annoncions ici[1]. + +La forme de la décision + +Ce que l'on demande, dans ce type de dossier en référé, c'est la suspension de +la décision contestée, ici la suspension du décret secret de 2008. Pour que le +juge des référés nous accorde cette suspension, il faut qu'il y ait urgence, et +qu'il y ait un doute sérieux sur la légalité^[1[2]]. + +C'est un cas prévu par la procédure : s'il est absolument évident qu'il n'y a +pas urgence, on ne prévoit même pas d'audience, et le recours est rejeté. S'il +y a un doute sur l'urgence ou non, on doit en discuter en audience, pour que +chacun puisse faire valoir ses arguments. + +L'ordonnance prise dans cette affaire est ce que les juristes appellent, si +j'ai bien compris, une ordonnance de tri : il n'y aura même pas d'audience. Ce +qui est heureux pour le gouvernement, parce que l'audience aurait été fort +embarrassante : autant on peut discuter sur le fait de savoir s'il y a urgence +ou pas, autant le texte est manifestement illégal, et bien délicat à défendre. + +Un point intéressant : la décision est signée Bernard Stirn. C'est tout +simplement le président de la section du contentieux, c'est-à-dire le plus haut +magistrat de France dans la pyramide du droit administratif. Ce n'est pas un +président de sous-section, comme ça arrive sur certaines affaires moins +intéressantes. C'est le patron qui signe. + +Décision attendue + +Dans l'affaire qui nous intéresse, l'illégalité du décret est manifeste : le +Conseil constitutionnel l'a rappelé de manière claire dans sa décision de fin +juillet. L'affaire est indéfendable. Nous annoncions dans le billet précédent +sur le sujet ce que serait, selon nous, la position du Conseil d'État : le +référé serait rejeté, en arguant d'un défaut d'urgence, laissant 12 à 18 mois +au gouvernement^[2[3]] pour remettre en ordre son souk de surveillance +internationale. + +Le fait que notre référé soit rejeté pour défaut d'urgence n'est donc pas à +proprement parler une surprise. Ce qui est curieux, c'est le raisonnement +évoqué dans l'ordonnance, et le fait que cette décision soit prise sans +audience. + +Exégèse du raisonnement + +Le Conseil d'État, par la plume de Bernard Stirn donc, nous explique que 2. +Considérant que les associations requérantes demandent la suspension de +l'exécution d'un décret non publié relatif aux activités de surveillance +internationale par les services de renseignement ; qu'elles indiquent que, +selon des éléments d'information qu'elles ont recueillies, ce décret aurait été +pris en avril 2008 ; qu'en l'absence de circonstances particulières, et alors +notamment que les associations requérantes ne font état d'aucune application +qui aurait été faite à une situation donnée du décret dont elles demandent la +suspension, les mesures réglementaires de caractère général que ce décret +aurait édictées ne sont pas par elles-mêmes de nature à porter à un intérêt +public ni aux intérêts que ces associations entendent défendre une atteinte +suffisamment grave et immédiate pour faire apparaître une situation d'urgence^[ +3[4]]. + +On reprend doucement. Le décret organise la surveillence des communications +internationales. Il est secret. Pas secret-de-polichinelle, mais +secret-défense. Même si on y avait accès, diffuser le contenu du décret est un +délit en soi, un délit fort sérieux. Sécurité nationale, espionnage, +terroristes, police, menottes, prison. Quelque chose du genre. + +Ce que nous dit le Conseil d'État, c'est que nous devrions justifier du fait +que le décret a été appliqué à un cas qui nous intéresse. En gros, on ne peut +pas prouver qu'une de nos communications^[4[5]] a été écoutée en application du +décret en question, et que cette écoute nous porte un préjudice certain et +urgent. Nous aurions donc dû montrer au Conseil d'État que le décret est +appliqué, et que son application crée pour nous une urgence. Or pour montrer +que le décret est appliqué, il faudrait en connaître le contenu. Or +précisément, ce qui rend ce décret illégal, c'est le fait qu'il est secret^[5[6] +]. Pour que le Conseil d'État puisse réfléchir à l'urgence de la situation, il +faudrait donc que le décret ne soit pas secret. + +Le raisonnement est circulaire. Le décret est illégal parce que secret. Il est +secret donc on ne peut pas savoir s'il est appliqué. Puisqu'on ne peut pas +savoir s'il est appliqué, on ne peut pas justifier de l'urgence de la +situation. Donc, parce que le décret est secret et illégal, sa suspension ne +peut pas relever de l'urgence. Il est donc par nature impossible qu'un décret +secret puisse créer une situation d'urgence à statuer pour le Conseil d'État. +C'est l'illégalité même de la situation qui supprime l'urgence, et qui fait que +le Conseil d'État laisse perdurer. Normalement, un raisonnement circulaire, +pour un étudiant en droit, ça entraîne une sale note. + +Autre élément très intéressant. Organiser illégalement, et plus précisément +anticonstitutionnellement^[6[7]], la surveillance massive des communications, +donc une atteinte globale à la vie privée et au secret des correspondances +privées, ça n'est pas de nature à porter à un intérêt public (...) une atteinte +suffisamment grave et immédiate pour faire apparaître une situation d'urgence. + +L'atteinte aux libertés est immédiate, ça, ça ne fait pas de doute, ou alors le +mot immédiat a un sens particulier en droit. À la seconde où ce décret est +entré en application, et jusqu'à son abrogation, il crée une atteinte à des +libertés fondamentales reconnues. Donc c'est que cette atteinte n'est pas bien +grave, en tous cas pas assez grave pour créer en elle-même une urgence. Écouter +les gens, espionner, ouvrir le courrier, sans droit de le faire, ce n'est pas +assez grave pour justifier d'une urgence. Rien que pour apprendre ça, ça valait +le déplacement ! + +Il faut donc que nous prouvions qu'en application de ce décret, les +communications de l'un·e d'entre nous ont été écoutées, et que cette écoute a +créé une urgence particulière, par exemple en mettant en danger la vie de +quelqu'un. Il ne faut pas seulement que ça ait lieu, hein, il faut qu'on puisse +justifier que c'est en application du décret litigieux qu'il y a danger. + +La mise à sac de l'État de droit, la surveillance hors d'un contrôle défini par +la loi, en contradiction franche avec les règles constitutionnelles et +conventionnelles^[7[8]], ça n'est pas assez grave pour créer une urgence. Et +c'est tellement évident que ça ne vaut même pas le coup qu'on en discute en +audience ! + +C'est beau, la raison d'État, quand c'est manié avec talent. + +Notes + +[1[9]] Entendre une illégalité manifeste, qui pourrait peut-être être revue +lors de la procédure sur le fond, mais qui semble certaine à première vue. + +[2[10]] C'est le temps que prend la procédure sur le fond du dossier. + +[3[11]] Pour ceux qui veulent lire la version complète, le PDF de la décision[12] +a été mis en ligne par La Quadrature sur la page qui recense[13] les actions +que nous menons ensemble. + +[4[14]] Pour le coup, ça pourrait être large, les communications d'un·e +adhérent·e d'une des associations de la Fédération FDN ou d'une personne liée à +La Quadrature du Net, ça pourrait coller. + +[5[15]] En fait, le décret est illégal pour deux raisons essentielles. La +première est que c'est la loi qui devrait organiser tout ça (c'est ce que nous +dit le Conseil constitutionnel dans sa décision de fin juillet dernier). Et la +seconde, c'est qu'on ne peut pas organiser la surveillance sur la base d'un +texte secret (c'est ce que nous dit la Cour européenne des droits de l'Homme +dans une décision de 2010). + +[6[16]] Alors, celui-là, tous les gamins de France rêvent de pouvoir le coller +dans une rédaction ou une dissertation, mais va donc trouver prétexte à +l'utiliser... Ça, c'est fait ! + +[7[17]] Si j'ai bien compris, les juristes parlent de conventionalité, entre +autres, pour parler du respect du droit de l'Union européenne ou de la +Convention Européenne des droits de l'Homme. + +Liens: +[1]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/02/Ch%C3%B4mage-technique-%C3%A0-la-DGSE (lien) +[2]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-1 (lien) +[3]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-2 (lien) +[4]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-3 (lien) +[5]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-4 (lien) +[6]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-5 (lien) +[7]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-6 (lien) +[8]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#pnote-83-7 (lien) +[9]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-1 (lien) +[10]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-2 (lien) +[11]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-3 (lien) +[12]: https://www.laquadrature.net/files/Ordonnance_-_Decret_secret_DGSE_393079.pdf (lien) +[13]: https://www.laquadrature.net/fr/les-recours-au-conseil-detat-et-au-conseil-constitutionnel (lien) +[14]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-4 (lien) +[15]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-5 (lien) +[16]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-6 (lien) +[17]: http://blog.fdn.fr/?post/2015/09/10/La-vie-privee%2C-pas-d-urgence#rev-pnote-83-7 (lien) -- cgit v1.2.1