From bc1d70343807104ccf64b6bde9b2db54270203ff Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: neodarz Date: Fri, 10 Mar 2017 11:58:22 +0100 Subject: Initiale release --- Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt | 210 +++++++++++++++++++++ 1 file changed, 210 insertions(+) create mode 100644 Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt (limited to 'Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt') diff --git a/Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt b/Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt new file mode 100644 index 0000000..9c0b035 --- /dev/null +++ b/Filtrer_The_Pirate_Bay__Ubu_roi_des_Internets_.txt @@ -0,0 +1,210 @@ +Titre: Filtrer The Pirate Bay : Ubu roi des Internets ? +Auteur: Benjamin Bayart +Date: Sun 07 Dec 2014 16:32:00 +0100 +Lien: http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets + +Les zéyandroa font des gorges chaudes sur le fait qu'ils ont obtenu une +victoire magnifique, en la forme d'une décision de justice qui impose aux +opérateurs de filtrer le site de The Pirate Bay en France. + +Cette décision, appuyée sur l'article que nous annoncions comme le pire du pire +du contenu de la loi HADOPI, parfaitement ubuesque, nous semble poser des +problèmes, tant sur le fond de la motivation de la décision, que sur la forme +qu'elle va prendre une fois mise en œuvre. Au final, elle nous permet en tant +que fournisseurs d'accès militants de faire œuvre d'éducation, d'expliquer ce +qu'est Internet, et comment il fonctionne. C'est peut-être un mal pour un bien. + +La justice de père Ubu + +Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 4 décembre une décision par +laquelle il condamne quatre fournisseurs d'accès à Internet à filtrer l'accès +au site The Pirate Bay. Tout dans cette décision semble marcher sur la tête. +Essayons de comprendre... + +Les ayants droit ne sont pas contents parce que The Pirate Bay contient des +liens vers des torrents qui permettent de télécharger les œuvres dont ils +touchent des droits. Ils considèrent que The Pirate Bay est donc un +contrefacteur, ou au moins un moyen de diffusion de ces contenus +contrefaisants. Ils veulent donc que The Pirate Bay soit considéré comme un +site illégal et qu'il soit interdit en France. On peut ne pas être d'accord. On +peut considérer que The Pirate Bay diffuse des fichiers torrents, et pas des +contenus protégés par le droit d'auteur. On peut aussi constater qu'ils +diffusent également des fichiers torrents liés à des contenus tout à fait +légaux, voire libres de droits. Mais ce n'est pas le sujet du jour. + +Le sujet du jour c'est que quand les ayants droit veulent faire interdire une +activité illégale, ils font un procès... à quelqu'un d'autre. Ce n'est pas que +les ayants droit soient fous, c'est que nous vivons au temps de la justice de +père Ubu. En effet, ce que veulent obtenir les ayants droit, c'est que les +fournisseurs d'accès empêchent l'accès au site de The Pirate Bay. Or pour +forcer les FAIs à faire quelque chose, il faut les condamner. Pour les +condamner, il faut qu'ils soient délinquants. + +L'affaire qui nous intéresse oppose donc, d'une part, des gens qui défendent +leurs droits patrimoniaux sur des œuvres, et d'autre part des gens qui ne sont +pas les délinquants, mais qui vont quand même être condamnés. De manière +particulièrement amusante, ils seront payés pour mettre en œuvre la décision de +justice. Ils sont donc condamnés à se faire payer par les ayants droit pour +mettre en œuvre une décision de justice. + +Mais, et le délinquant alors ? Fastoche. Il n'est pas concerné. Pas cité dans +la procédure. Pas invité à se défendre. On a donc d'une part, des ayants droit +qui exposent leurs griefs. D'autre part des FAIs qui sont transformés par la +force de la justice en exécuteurs des sentences. Et personne pour représenter +les intérêts de l'accusé/condamné, puisqu'il n'est même pas cité au procès. +Père Ubu inventerait la justice qu'il ne ferait pas mieux. Ou pire, c'est +selon. + +Cette approche du droit pose des questions, en dehors du fait qu'elle est +ridicule. Par exemple, le site The Pirate Bay n'est pas condamné. Il n'y a pas +de décision d'un tribunal en France disant que son activité est illégale et +qu'il doit fermer. Du coup, pour un FAI qui n'est pas condamné à le filtrer, il +serait totalement illégal de le faire (atteinte au secret des correspondances +privées, atteinte au droit d'accès à l'information, atteinte aux obligations +définies par le code des postes et communications électroniques). + +On a donc cette situation ubuesque où celui qui est annoncé comme le méchant +n'est pas condamné, où ceux qui sont condamnés sont en fait les exécuteurs de +la décision de justice, et où les autres FAIs ont l'obligation de continuer à +permettre l'accès au site. Et bien entendu, celui qu'on annonce dans toute la +presse comme délinquant, et dont on essaye d'empêcher l'activité, n'a pas pu se +défendre. + +Le filtrage de père Ubu + +Nos quatre amis FAIs sont donc dans l'obligation de filtrer. Ils doivent +choisir la méthode, rapide, qui ne coûte pas cher, et qui pose le moins de +problèmes. Il existe trois grandes façons de faire. Soit on bloque le routage +vers l'adresse IP du site, mais ça a des effets de bord sur le fonctionnement +du réseau, et on filtre tout autre site partageant les mêmes serveurs. Soit on +bloque par un filtrage intrusif et une analyse des contenus circulant sur le +réseau, mais ça coûte une fortune et ça revient à espionner toutes les +communications du pays. Soit on bidouille les DNS pour qu'ils oublient +l'existence de ce nom de domaine. + +La solution du filtrage par le DNS était déjà celle retenue, en 2011, quand le +ministre de l'intérieur Claude Guéant faisait filtrer copwatch. C'est également +la solution que l'actuel ministre de l'Intérieur annonce pour mettre en œuvre +le filtrage prévu par la toute récente loi sur le terrorisme. Lors des débats à +l'Assemblée, il était même admis que cette solution soit facile à contourner, +mais posant moins de problèmes d'atteintes à l'intégrité du réseau. + +Cette approche expose un problème de fond. Tous ces braves gens, FAIs, justice, +ministres et ministères, moines copistes de DVDs, disent qu'ils font filtrer +par les opérateurs du réseau, alors qu'ils font filtrer par le fournisseur de +service DNS. Ils sont en train, dans ces décisions de justice, de graver l'idée +que le résolveur DNS utilisé par l'internaute est, forcément, toujours, celui +de son FAI. Que le service de résolution DNS est une composante totalement +centrale du réseau. Ce qui est parfaitement faux. + +Ce couplage fort entre l'opérateur du réseau et le fournisseur de DNS est +exactement aussi faux que celui entre l'opérateur et le fournisseur de mail. Il +y a 15 ans, les mêmes pensaient qu'il était de toute évidence, et de toute +éternité, qu'un abonné de Club Internet a une adresse e-mail qui se termine en +@club-internet.fr. Le fait de graver ce genre d'idioties dans des décisions de +justice, dans des décrets, dans des lois, c'est suivre la pente savonneuse qui +rendra illégal le fait d’utiliser un service de résolution DNS autre que celui +fourni par son opérateur. + +Ce serait en effet la conséquence logique. Pour faire fermer un site, au lieu +de condamner le site, on condamne le FAI. Pour filtrer, il n'utilise pas son +activité de FAI, mais une activité annexe de fourniture de service de +résolution de nom. Pour rendre ce filtrage plus solide, il faudrait interdire à +l'internaute d'utiliser un autre service que celui de son opérateur. Sur le +principe, c'est contraire à toutes les directives européennes, car c'est rendre +obligatoire un abus de position dominante, une entrave absolue à la +concurrence. + +Or choisir son service de résolution DNS, c'est choisir la façon dont on voit +Internet. C'est choisir la racine du système de nommage qu'on utilise. Bien +qu'étant sur le même Internet que tout le monde, quand on change de DNS, on +voit le réseau différemment, et pour le moment on le fait par choix. Peu de +gens utilisent cette faculté, mais elle existe. + +Cette décision de justice, ubuesque, si elle devait être un tout petit peu plus +logique, devrait viser les fournisseurs de service de résolution de nom, pas +les opérateurs de réseau. L'analyse faite dans le jugement dit que les quatre +acteurs visés représentent plus de 90% de l'accès à Internet en France. La même +analyse faite sur la fourniture de service DNS donnerait les noms des mêmes +acteurs. Mais choisis pour d'autres raisons, finalement plus logiques. + +Les limites du système + +Il y a des centaines de FAIs en France, des milliers de fournisseurs de service +de résolution de nom. Pour obtenir un bon résultat, les ayants droit doivent +donc tous les attaquer en justice, ce qui ferait exploser leurs frais +d'avocats. Ou alors, ils peuvent rester dans l'à-peu-près. Ils ont visiblement +choisi pour l'instant de taper dans un "à-peu-près" de 4 opérateurs nationaux, +représentant « de notoriété publique » (sic) plus de 90% de parts de marché. + +De son côté, le ministère de l'intérieur a choisi une solution plus brutale. +Les sites qu'il fera interdire seront ajoutés à une liste noire des sites à +filtrer, et tous les opérateurs auront d'un coup l'obligation de filtrer ces +sites. Quitte à choisir cette approche plus cohérente, on aurait pu aller +jusqu'à faire un procès aux sites (éditeurs, auteurs, etc) avant de les +condamner à être mis à l'index. Mais un procès contradictoire qui précède une +condamnation, c'est passé de mode en France. + +Au final, tout ça suppose que les gens qui n'arriveront pas à accéder à un +contenu ne sauront pas comment contourner la censure. L'exemple récent en +Turquie, où les adresses des DNS de Google étaient taggées sur les murs pour +contourner le filtrage de Twitter tend à montrer que nos gouvernants se +trompent. Les gens qui veulent accéder à un contenu sont d'autant plus disposés +à faire un effort qu'on essaye de les en empêcher. + +La réponse des FAIs associatifs + +Nous expliquons depuis longtemps que les gros opérateurs sont trop gros, et que +ça les rend dangereux. Nous avions raison. Si le marché était fragmenté en de +nombreux petits opérateurs, de telles solutions idiotes de justice qui marche +sur la tête n'auraient pas été possibles. + +Dans nos associations, nous apprenons à faire fonctionner Internet, donc entre +autres à faire fonctionner un DNS. Changer le système de résolution de nom de +domaine, pour nos abonnés, c'est facile à faire. Ce travail de formation, de +montée en compétence de nos bénévoles, tend à multiplier le nombre de personnes +capables de comprendre les enjeux politiques et les réalités techniques qui +sont derrière. Nous avions raison de vouloir répandre les compétences le plus +largement possible. + +La réponse naturelle des fournisseurs d'accès associatifs est de dire que nous +fournissons des accès à Internet, et que comme nous sommes trop petits pour +être visés par ces décisions de justice, nos accès ne sont pas filtrés. Chez +nous, The Pirate Bay fonctionne encore. + +Bien entendu, ce n'est pas possible pour tout le monde. Soit que nos services +soient trop chers, soit qu'ils ne soient pas disponibles chez vous pour des +raisons techniques^[1[1]]. Pour ces abonnés, nous fournissons des systèmes de +VPN, qui permettent d'avoir de l'Internet propre et non-filtré à partir d'un +accès à Internet mal-propre et filtré. Au départ, on avait mis ça en place pour +aider les dissidents dans les pays totalitaires, mais ça marche aussi pour +corriger les aberrations du marché et de la politique en France. + +Enfin, pour ceux d'entre vous qui ne sont pas assez courageux pour devenir +adhérent d'un FAI associatif, nos serveurs DNS sont ouverts et acceptent de +servir les demandes de tout le monde. Oui, comme ceux de Google, sauf que les +nôtres sont comme ça depuis plus de 20 ans, et qu'on n'avait jamais trouvé +utile de faire un communiqué de presse sur le sujet. + +Du coup, voilà les adresses IP des DNS ouverts de certains des FAIs membres de +la Fédération FDN, disponibles en IPv4 et en IPv6. + + * FDN : ns0.fdn.org (80.67.169.12 / 2001:910:800::12) | + ns1.fdn.org(80.67.169.40 / 2001:910:800::40) + * LDN : ns0.ldn-fai.net (80.67.188.188 / 2001:913::8) + * ARN : recursif.arn-fai.net (89.234.141.66 / 2a00:5881:8100:1000::3) + +Pour apprendre à changer les serveurs DNS que vous utilisez, vous pouvez jeter +un œil à l'article de Pierre Col[2] publié récemment sur ZDNet, ou à l'article +de Stéphane Bortzmeyer[3] publié il y a deux ans sur son blog. + +Note + +[1[4]] On a par exemple des abonné-e-s qui ont la possibilité d'avoir un accès +fibre chez eux, mais FDN ne peut pas fournir d'accès sur la fibre. + +Liens: +[1]: http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets#pnote-73-1 (lien) +[2]: http://www.zdnet.fr/actualites/pour-contourner-le-blocage-des-sites-web-il-suffit-de-changer-de-resolveur-dns-39810881.htm (lien) +[3]: http://www.bortzmeyer.org/changer-dns.html (lien) +[4]: http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets#rev-pnote-73-1 (lien) -- cgit v1.2.1